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8 avril 2022 5 08 /04 /avril /2022 06:05

 

Après l'invasion militaire et l'occupation des terres palestiniennes, les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l'Union Européenne, le Canda, le Japon, l'Australie etc. se déchaînent en ce moment contre Israël.

En réaction à cette invasion, les pays occidentaux ont promis aux palestiniens de mettre immédiatement un terme au soutien financier, militaire et politique à l'Etat hébreux.

Le mépris et l'arrogance de cet Etat pour les résolutions des Nations Unies ne seront désormais plus tolérés.

Les réfugiés palestiniens qui fuient l'occupation ont reçu un immense élan de solidarité et sont accueillis à bras ouverts par tous les pays voisins et même par l'Europe.

"Stand up for Palestine", une campagne mondiale de collecte de fonds sur les réseaux sociaux réunira les grandes stars internationales pour soutenir les efforts humanitaires en faveur des palestiniens.

Des sanctions sont adoptées dans tous les domaines y compris dans le sport. Israël est déjà exclu du système financier international SWIFT. Les avoirs étrangers de la Banque Centrale israélienne sont gelés. Des centaines de marques et enseignes occidentales ont quitté Israël. D'autres mesures encore plus radicales sont en préparation.

Plusieurs pays ont annoncé l'expulsion d'ambassadeurs et diplomates de l'Etat hébreux. Des biens mobiliers et immobiliers des riches israéliens sont gelés à travers le monde. Des œuvres d'art des musées israéliens sont saisies en Finlande. Les espaces aériens sont fermés aux compagnies et aux avions israéliens.

Joe Biden, Boris Johnson, Ursula von der Leyen, Olaf Scholz, Justin Trudeau, Emmanuel Macron ... ont appelé à boycotter les exportations israéliennes tant qu'Israël ne se retire pas des territoires occupés.

La communauté internationale condamne dans les termes les plus forts les atrocités commises par les forces armées israéliennes dans plusieurs villes palestiniennes occupées. Israël est accusé de crimes de guerre contre le peuple palestinien. Le président américain exige un "procès de guerre". La Cour pénale internationale a ouvert une enquête et la Cour internationale de justice a ordonné l’arrêt immédiat des bombardements sur Gaza. Désormais les attaques contre les centres de presse, les hôpitaux et le personnel soignant à Gaza ne seront dorénavant plus considérées comme des erreurs ou des dommages collatéraux. L'utilisation du phosphore blanc, de l'Uranium Appauvri et des bombes à fragmentation contre les civils palestiniens et toutes les armes prohibées par les conventions internationales est interdite. Les Etats-Unis et leurs alliés de l'OTAN, dans un communiqué publié par tous les médias occidentaux, ont exigé d'Israël la levée immédiate du blocus militaire contre Gaza.

Les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l'Union Européenne, le Canada, le Japon, l'Australie etc. sont déterminés à imposer ces mesures afin que les deux peuples, palestinien et israélien, puissent vivre ensemble en paix comme ils l'ont déjà prouvé durant leur histoire commune. Car cette région du monde, comme disait le poète Mahmoud Darwish, souffre depuis très longtemps "d’un mal incurable qui s’appelle l’espoir. Espoir que nos poètes verront la beauté de la couleur rouge dans les roses plutôt que dans le sang. Espoir que cette terre retrouvera son nom original : terre d’amour et de paix".

 

Mohamed Belaali

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20 mars 2022 7 20 /03 /mars /2022 09:46

«Le plus grand pourvoyeur de violence du monde est mon propre pays»

Martin Luther King *

 

Ces derniers jours, les dirigeants américains de Joe Biden à Antony Blinken en passant par Kamala Harris, ne cessent d'accuser la Russie de commettre des crimes de guerre en Ukraine. Il va sans dire que si ces accusations sont avérées, elles doivent être dénoncées avec force, condamnées et les responsables traduits devant la justice. Mais ce qui est surprenant voire choquant, c'est que ces accusations émanent d'une nation dont toute l'histoire n'est que violence et barbarie. Le cynisme ici n'a pas de limites. Sans remonter loin dans le passé, citons seulement, tellement la liste est longue, quelques exemples de ces crimes perpétrés lors des innombrables interventions militaires américaines dans le monde : usage des armes nucléaires contre les populations d'Hiroshima et de Nagasaki avec plus de 200 000 morts, guerre contre le Vietnam avec usage systématique d'armes chimiques et ses massacres de civils, guerre en Afghanistan avec ses traumatismes et ses grandes souffrances infligées à la population civile afghane etc. etc. Ni les dirigeants ni les responsables militaires américains n'ont été jugés pour ces crimes de guerre. Pire, les Etats-Unis vont jusqu'à menacer de sanctions les magistrats de la Cour Pénale Internationale si par malheur ils décident de poursuivre les militaires responsables des exactions commises en Afghanistan.

Pour avoir un aperçu de la cruauté de l'armée américaine, nous reproduisons un texte écrit après l'invasion de l'Irak par les Etats-Unis le 20 mars 2003, il y a exactement 19 ans jour pour jour.

 

 

Combien d'enfants, de femmes et d'hommes innocents sont morts en Irak depuis l'invasion de ce pays par l'armée américaine et ses alliés? Personne ne le sait avec précision. Mais ce qui est sûr, c'est que leur nombre se chiffre par centaines de milliers. Combien de blessés, d'estropiés, de veuves, d'orphelins, de réfugiés etc. ? On passe rapidement, cette fois, des centaines de milliers, à des millions. Bombes au napalm, au phosphore blanc, à fragmentation, chars, navires, avions, bombardiers, véhicules aériens sans équipage, missiles, bref des armes légales et illégales de toute sorte, coordonnées par une structure de commandement planétaire, ont été utilisées pour cette tuerie collective. Et quel est le crime de chacune de ces victimes ? Selon les dirigeants occidentaux ce pays représente un véritable danger pour le monde. Car l'Irak possède, entre autres, les armes de destruction massive et demeure le foyer mondial du terrorisme. Il faut donc sécuriser ce pays et apporter à sa population démocratie, liberté et prospérité.

 

Aujourd'hui, près de sept ans après l'invasion américaine, l'Irak est dans une situation tragique. La population est réduite à vivre dans des conditions infra-humaines. Ce que subit aujourd'hui le peuple irakien donne la mesure de la cruauté dont le capitalisme et la bourgeoisie qui le porte sont capables.

L'électricité par exemple est devenue presque un luxe; les irakiens n'en bénéficient que 4 à 6 heures seulement par jour. L'eau potable leur manque cruellement :« Ici, l’eau courante n’est pas disponible plus de deux heures par jour », dit une habitante de Bagdad sachant que les températures atteignent, l'été, facilement les 50 degrés Celsius. La population irakienne a soif alors que deux majestueux fleuves le Tigre et l'Euphrate, qui rendaient la vie possible depuis des millénaires et permettaient également avant l'invasion de fournir aux irakiens l'eau potable dont ils avaient besoin, coulent toujours. Mais cette eau «potable» est souvent mélangée avec des eaux usées « Le pourcentage d’eau sale, impropre à la consommation humaine risque de provoquer des maladies plus dangereuses que le choléra, et notamment certains types d’hépatites et de diarrhées potentiellement mortels » affirmait le ministre irakien de la santé. Selon les Nations Unies, plus de 300 cas de choléra ont été recensés officiellement (1). Les hôpitaux irakiens, qui manquent quasiment de tout, reçoivent chaque jour des patients notamment des enfants souffrant des maladies liées à l'eau impropre à la consommation. L'absence de médicaments et d'infrastructures médicales mettent ces malades en danger de mort.

Le manque d'eau se transforme ainsi en une arme silencieuse qui tue sans faire de bruit.

Il ne s'agit là que de quelques aspects de cette tragédie subie au jour le jour par la population irakienne. Elle qui bénéficiait avant les sanctions économiques( 1990-2003) et la guerre dite du Golfe (1991), d'un niveau de vie relativement élevé et d'infrastructures éducatives, sanitaires, hydrauliques, routières etc. des plus développées de la région, est réduite à vivre aujourd'hui dans la misère la plus noire. Il faut rappeler que ces sanctions économiques imposées par les États-Unis et le Royaume- uni et autorisées par l'ONU sont les plus violentes et les plus longues de l'histoire des Nations Unies. Il s'agit en fait d'un châtiment collectif infligé à tout un peuple (4). Ces sanctions ont, entre autres crimes, tué environ un demi million d'enfants. Pour Madeleine Albright, secrétaire d'État de l'administration Clinton, la vie des enfants irakiens n'a aucune valeur, mais un prix :

« Nous pensons que c’est le prix à payer» (2). Sauf que ce «prix» est payé, une fois encore, par le peuple irakien

Et comme si ces terribles souffrances ne suffisaient pas, W. Bush et son caniche T. Blair, deux criminels de guerre décidèrent d'envahir l'Irak.

Les citoyens du monde entier dans un immense élan de solidarité avec le peuple irakien et contre la guerre ont défilé par centaines de milliers dans les rues de New-York, du Caire, de Paris, Caracas, Londres, Istanbul, Berlin, Jakarta, Tokyo, Lagos, Madrid etc. etc. Les citoyens du monde d'un côté, les bourgeoisies américaine et anglaise, à travers leurs représentants politiques, de l'autre dans un face à face qui a vite tourné à l'avantage de Bush et de Blair. La paix fut vaincue une fois encore. La guerre l'a emporté sur la paix et les intérêts d'une minorité ont triomphé contre la volonté d'une immense majorité.

Le 20 mars 2003, l'armée américaine et ses supplétifs ont franchi les frontières irakiennes.

Depuis cette date, la population irakienne vit un long et interminable calvaire. Les irakiens sont torturés et humiliés dans leur propre pays par une soldatesque ivre de violence. La terreur, organisée directement ou indirectement par l'armée américaine et la police locale, règne dans les villes irakiennes. Ces villes sont, par ailleurs, dévastées et défigurées par des murs de sécurité érigés un peu partout; les rues sont quadrillées de barbelés et d' engins militaires de toute sorte. Mercenaires, forces spéciales, escadrons de la mort s'acharnent contre une population constamment soupçonnée de soutenir la résistance.

Fallujah, ville martyre, connaît un accroissement sans précédent du nombre d’enfants et de fœtus morts avec des malformations congénitales conséquence de l'utilisation massive par l'armée américaine des armes interdites par toutes les conventions internationales.

Mais cette violence ne s'exerce pas seulement directement sur les hommes, elle s'étend également à leur mémoire, à leur histoire et à leur patrimoine. Faut-il rappeler que l'Irak est le berceau de la civilisation humaine ? La Mésopotamie (entre deux fleuves en grec), qui correspond à l'Irak d'aujourd'hui, a vu naître sur son sol de brillantes et splendides civilisations. C'est sur cette terre que l'écriture et le calcul, entre autres, furent inventés. Mais la Mésopotamie c'est aussi Babylone et ses jardins suspendus (septième merveille du monde), Hammourabi et son code, Nabuchodonosor II et sa conception architecturale etc. etc. Bush savait-il quelque chose de tout cela ? Pourquoi avait-il laissé ses troupes piller et détruire l'histoire et le patrimoine du peuple irakien et de toute l'humanité ? Le musée et la bibliothèque de Bagdad ainsi que d'autres sites qui renferment des antiquités, des documents et des manuscrits sans prix ont été pillés et parfois incendiés sous les yeux des soldats américains. Des objets d'art par milliers notamment les deux lions en terre cuite de Babylone ont été détruits. Pourtant les conventions internationales, celle de Genève et de La Haye par exemple, interdisent le pillage et imposent à la puissance occupante de protéger le patrimoine culturel du pays occupé. Mais le droit c'est aussi le droit du plus fort.

Si pour l'administration américaine l'histoire et le patrimoine culturel de l'Irak ne méritent que mépris et indifférence, les puits de pétrole, eux, par contre étaient bien protégés et bien «sécurisés» pour utiliser le langage militaire et médiatique.

Les universités n'ont pas été non plus épargnées. La Mustansiriya, la grande université de Bagdad qui date du XIII siècle a été bombardée et les archives, manuscrits, livres rares etc. de sa bibliothèque ont été volés ou brûlés au grand jour et sous le regard de l'occupant.

Ce mépris affiché par l'administration américaine pour la vie des hommes, pour leur intelligence et leur patrimoine culturel rappelle quelque peu les réactions pleines de haine des phalangistes espagnols et le discours du courageux Miguel de Unamuno le 12 octobre 1936 à l'université de Salamanca dont il était recteur :«Cette université est le temple de l’intelligence. Et je suis son grand prêtre. C’est vous qui profanez son enceinte sacrée. Vous vaincrez parce que vous disposez de la force brutale ; vous ne convaincrez pas car il vous manque la raison» disait calmement le grand philosophe basque. «Vive la mort», «à bas l'intelligence» vociféraient les franquistes.

Il manquait peut-être à l'université de Bagdad un Unamuno irakien. Mais chaque époque et chaque pays produisent ses propres héros. L'Espagne de 1936 n'est pas l'Irak de 2003 et Franco n'est pas Bush. Pourtant le 14 décembre 2008 à Bagdad, un homme, Mountazer al-Zaïdi, s'est levé et a osé lancer ses chaussures sur Bush le président des États-Unis! C'est un acte dérisoire face à l'ampleur de la tragédie irakienne. Mais ce geste a suffi pour enflammer les masses en Irak et à travers tout le monde arabe et bien au-delà. Partout à travers la planète, de temps à autre, les hommes et les femmes lancent leurs chaussures contre ceux qui, à leurs yeux, incarnent l'injustice comme ce fut le cas pour le directeur du FMI Dominique Stauss-Kahn le1er octobre 2009 à Istanbul. En Irak, Mountazer al-Zaïdi est devenu, même de manière dérisoire, le symbole de la résistance à l'occupant.

Les médias ne soufflent mot sur la tragédie que vit la population irakienne, ni sur une occupation basée sur un immense mensonge: les armes de destruction massive! Bien au contraire, ils parlent de processus de normalisation, de gouvernement irakien légitime, d'élections libres et démocratiques etc.

Tous les citoyens du monde qui étaient des millions à crier leur hostilité à cette guerre impérialiste et, au-delà, tous les hommes et toutes les femmes qui aspirent à un monde débarrassé de cette barbarie destructrice de vies humaines pour, en dernière analyse, enrichir une minorité de privilégiés sans âme et sans cœur, doivent s'opposer partout à toutes les guerres menées par les Etats-Unis et leurs alliés.

 

Mohamed Belaali

 

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* Cité par Tariq Ali in «Bush à Babylone». La fabrique éditions, 2004.

(1)https://www.thenewhumanitarian.org/fr/actualit%C3%A9s/2008/10/24/des-r%C3%A9seaux-hydrauliques-v%C3%A9tustes-un-risque-sanitaire

(2)«I think this is a very hard choice, but the price ...we think the price is worth it», déclarait Madeleine Albright en 1996, lors d'une interview accordée à Leslie Stahl de CBS. Voir également la vidéo :

https://www.youtube.com/watch?v=UYagQuqK31s

 

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12 mars 2022 6 12 /03 /mars /2022 08:08

 

Voici un vieux texte de Lénine (1915) qui peut nous éclairer sur notre triste actualité d'aujourd'hui. Il faudrait peut-être le lire directement sans intermédiation et sans préjugés. Il nous donne toujours à penser malgré le temps. Toutes les questions essentielles liées à la guerre sont traitées avec une précision dont Lénine seul a le secret.

 

 

"Les principes du socialisme et la guerre de 1914 1915"

 

"L’attitude des socialistes à l’égard des guerres"

 

"Les socialistes ont toujours condamné les guerres entre peuples comme une entreprise barbare et bestiale. Mais notre attitude à l'égard de la guerre est foncièrement différente de celle des pacifistes (partisans et propagandistes de la paix) bourgeois et des anarchistes. Nous nous distinguons des premiers en ce sens que nous comprenons le lien inévitable qui rattache les guerres à la lutte des classes à l'intérieur du pays, que nous comprenons qu'il est impossible de supprimer les guerres sans supprimer les classes et sans instaurer le socialisme; et aussi en ce sens que nous reconnaissons parfaitement la légitimité, le caractère progressiste et la nécessité des guerres civiles, c’est à dire des guerres de la classe opprimée contre celle qui l'opprime, des esclaves contre les propriétaires d'esclaves, des paysans serfs contre les seigneurs terriens, des ouvriers salariés contre la bourgeoisie. Nous autres, marxistes, différons des pacifistes aussi bien que des anarchistes en ce sens que nous reconnaissons la nécessité d'analyser historiquement (du point de vue du matérialisme dialectique de Marx) chaque guerre prise à part. L'histoire a connu maintes guerres qui, malgré les horreurs, les atrocités, les calamités et les souffrances qu'elles comportent inévitablement, furent progressives, c'est à dire utiles au développement de l'humanité en aidant à détruire des institutions particulièrement nuisibles et réactionnaires (par exemple, l’autocratie ou le servage) et les despotismes les plus barbares d'Europe (turc et russe). Aussi importe t il d'examiner les particularités historiques de la guerre actuelle.

 

Les types historiques des guerres modernes

 

La grande révolution française a inauguré une nouvelle époque dans l'histoire de l'humanité. Depuis lors et jusqu'à la Commune de Paris, de 1789 à 1871, les guerres de libération nationale, à caractère progressif bourgeois, constituèrent l'un des types de guerres. Autrement dit, le contenu principal et la portée historique de ces guerres étaient le renversement de l'absolutisme et du système féodal, leur ébranlement, l'abolition du joug étranger. C'étaient là, par conséquent, des guerres progressives; aussi tous les démocrates honnêtes, révolutionnaires, de même que tous les socialistes, ont toujours souhaité, dans les guerres de ce genre, le succès du pays (c'est-à dire de la bourgeoisie) qui contribuait à renverser ou à saper les bastions les plus dangereux du régime féodal, de l'absolutisme et de l'oppression exercée sur les peuples étrangers. Ainsi, dans les guerres révolutionnaires de la France, il y avait un élément de pillage et de conquête des terres d'autrui par les Français; mais cela ne change rien à la portée historique essentielle de ces guerres qui démolissaient et ébranlaient le régime féodal et l'absolutisme de toute la vieille Europe, de l'Europe du servage. Dans la guerre franco allemande, l'Allemagne a dépouillé la France, mais cela ne change rien à la signification historique fondamentale de cette guerre, qui a affranchi des dizaines de millions d'Allemands du morcellement féodal et de l'oppression exercée sur eux par deux despotes, le tsar russe et Napoléon Ill.

 

La différence entre guerre offensive et guerre défensive

 

L'époque de 1789 1871 a laissé des traces profondes et des souvenirs révolutionnaires. Avant le renversement du régime féodal, de l'absolutisme et du joug national étranger, il ne pouvait absolument pas être question de voir se développer la lutte du prolétariat pour le socialisme. Parlant du caractère légitime de la guerre “ défensive ” à propos des guerres de cette époque, les socialistes ont toujours eu en vue, très précisément, ces objectifs qui se ramènent à la révolution contre le régime médiéval et le servage. Les socialistes ont toujours entendu par guerre “ défensive ” une guerre “ juste ” dans ce sens (comme a dit exactement un jour W. Liebknecht). C'est seulement dans ce sens que les socialistes reconnaissaient et continuent de reconnaître le caractère légitime, progressiste, juste, de la “ défense de la patrie ” ou d'une guerre “ défensive ”. Par exemple, si demain le Maroc déclarait la guerre à la France, l'Inde à l'Angleterre, la Perse ou la Chine à la Russie, etc., ce seraient des guerres “ justes ”, “ défensives ”, quel que soit celui qui commence, et tout socialiste appellerait de ses vœux la victoire des Etats opprimés , dépendants, lésés dans leurs droits, sur les “ grandes ” puissances oppressives, esclavagistes, spoliatrices.

Mais imaginez qu'un propriétaire de 100 esclaves fasse la guerre à un autre propriétaire qui en possède 200, pour un plus “ juste ” partage des esclaves. Il est évident qu'appliquer à un tel cas la notion de guerre “ défensive ” ou de “ défense de la patrie ” serait falsifier l'histoire; ce serait, pratiquement, une mystification des simples gens, de la petite bourgeoisie, des gens ignorants, par d'habiles esclavagistes. C'est ainsi qu'aujourd'hui la bourgeoisie impérialiste trompe les peuples au moyen de l'idéologie  “ nationale ” et de la notion de défense de la patrie dans la guerre actuelle entre esclavagistes, qui a pour enjeu l'aggravation et le renforcement de l'esclavage.

 

La guerre actuelle est une guerre impérialiste

 

Presque tout le monde reconnaît que la guerre actuelle est une guerre impérialiste, mais le plus souvent on déforme cette notion, ou bien on l'applique unilatéralement, ou bien on insinue que cette guerre pourrait avoir une portée progressiste bourgeoise, de libération nationale. L'impérialisme est le degré supérieur du développement du capitalisme, que celui ci n'a atteint qu'au XX° siècle. Le capitalisme se sent désormais à l'étroit dans les vieux Etats nationaux sans la formation desquels il n'aurait pu renverser le régime féodal. Le capitalisme a développé a concentration au point que des industries entières ont été accaparées par les syndicats patronaux, les trusts, les associations de capitalistes milliardaires, et que presque tout le globe a été partagé entre ces “ potentats du capital ”, sous forme de colonies ou en enserrant les pays étrangers dans les filets de l'exploitation financière. A la liberté du commerce et de la concurrence se sont substituées les tendances au monopole, à la conquête de terres pour y investir les capitaux, pour en importer des matières premières, etc. De libérateur des nations que fut le capitalisme dans la lutte contre le régime féodal, le capitalisme impérialiste est devenu le plus grand oppresseur des nations. Ancien facteur de progrès, le capitalisme est devenu réactionnaire; il a développé les forces productives au point que l'humanité n'a plus qu'à passer au socialisme, ou bien à subir durant des années, et même des dizaines d'années, la lutte armée des “ grandes ” puissances pour le maintien artificiel du capitalisme à l'aide de colonies, de monopoles, de privilèges et d'oppressions nationales de toute nature.

 

La guerre entre les plus gros propriétaires d’esclaves pour le maintien et l’aggravation de l’esclavage

 

Afin de montrer clairement le rôle de l'impérialisme, nous citerons des données précises sur le partage du monde entre ce qu'on appelle les “ grandes ” puissances (c'est à-dire celles qui réussissent à piller sur une grande échelle) :

Le partage du monde par les “grandes” puissances esclavagistes:

 

Colonies

Métropoles

Total

 

1876

1914

1914

 

 

km2
(millions)

habitants
(millions)

km2
(millions)

habitants
(millions)

km2
(millions)

habitants
(millions)

km2
(millions)

habitants
(millions)

Angleterre

22.5

251.9

33.5

393.5

0.3

46.5

33.8

440

Russie

17

15.9

17.4

33.2

5.4

136.2

22.8

169.4

France

0.9

6

10.6

55.5

0.5

39.6

11.1

95.1

Allemagne

 

 

2.9

12.3

0.5

64.9

3.4

77.2

Japon

 

 

0.3

19.2

0.4

53

0.7

72.2

Etats-Unis de l’Amérique du Nord

 

 

0.3

9.7

9.4

97

9.7

106.7

Les 6 “ grandes ” puissances

40.4

273.8

65

523.4

16.5

437.2

81.5

960.6

colonies n'appartenant pas aux grandes puissances (mais à la Belgique, à la Hollande et à d'autres Etats)

 

 

9.9

45.3

 

 

9.9

45.3

Trois pays “ semi- coloniaux ” (Turquie, Chine et Perse)

 

 

 

 

 

 

14.5

361.2

Total

 

 

 

 

 

 

150.9

1367.1

Autres Etats et pays

 

 

 

 

 

 

28

289.9

Tout le globe

 

 

 

 

 

 

133.9

1657

Il ressort de ce tableau que les peuples qui, de 1789 à 1871, ont combattu la plupart du temps à la tête des autres peuples pour la liberté, sont devenus désormais, après 1876, à la faveur d'un capitalisme hautement développé et “ plus que mûr ”, les oppresseurs et les exploiteurs de la majorité des populations et des nations du globe. Entre 1876 et 1914, six “ grandes ” puissances ont accaparé 25 millions de kilomètres carrés, soit une superficie représentant deux fois et demie celle de toute l'Europe ! Six puissances tiennent dans la servitude plus d'un demi-milliard (523 millions) d'habitants des colonies. Pour 4 habitants des “ grandes ” puissances, il y en a 5 dans e leurs ” colonies. Tout le monde sait que les colonies ont été conquises par le fer et par le feu, qu'on inflige à leurs populations un traitement barbare, qu'on les exploite par mille moyens (exportation de capitaux, concessions, etc.; en les trompant sur la qualité des marchandises qui leur sont vendues, en les assujettissant aux autorités de la nation “ dominante ”, etc., et ainsi de suite). La bourgeoisie anglo française dupe le peuple lorsqu'elle prétend mener la guerre pour la liberté des peuples et de la Belgique : en réalité, elle mène la guerre pour conserver les immenses territoires coloniaux dont elle s'est emparée. Les impérialistes allemands auraient immédiatement évacué la Belgique, etc., si les Anglais et les Français avaient partagé avec eux leurs colonies “ à l'amiable ”. La situation a ceci de singulier que, dans ce conflit, le sort des colonies sera tranché par l'issue de la guerre sur le continent. Du point de vue de la justice bourgeoise et de la liberté nationale (ou du droit des nations à l'existence), l'Allemagne aurait incontestablement raison contre l'Angleterre et la France, car elle a été “ lésée ” en fait de colonies; ses ennemis oppriment infiniment plus de nations qu'elle ne le fait elle même, et chez son alliée, l’Autriche, les Slaves opprimés jouissent assurément d'une plus grande liberté que dans la Russie tsariste, cette véritable “ prison des peuples ”. Mais l'Allemagne fait elle aussi la guerre pour opprimer des nations, et non pour les affranchir. Ce n'est pas l'affaire des socialistes d'aider un brigand plus jeune et plus vigoureux (l'Allemagne) à piller des brigands plus vieux et plus repus. Les socialistes doivent profiter de la guerre que se font les brigands pour les renverser tous. Pour cela, il faut avant tout que les socialistes disent au peuple la vérité, à savoir que cette guerre est, dans un triple sens, une guerre d'esclavagistes pour la consolidation de l'esclavage. C'est une guerre qui vise, premièrement, à aggraver l'esclavage des colonies au moyen d'un partage plus “ équitable ” et d'une exploitation ultérieure mieux “ orchestrée ”; deuxièmement, à accentuer le joug qui pèse sur les nations étrangères à l'intérieur des “ grandes ” puissances elles mêmes, car l'Autriche aussi bien que la Russie (la Russie dans des proportions beaucoup plus grandes et bien pires que l'Autriche) ne se maintiennent qu'au moyen de ce joug qu'elles renforcent par la guerre; troisièmement, à intensifier et à prolonger l'esclavage salarié, car le prolétariat est divisé et accablé, tandis que les capitalistes gagnent sur tous les tableaux en s’enrichissant par la guerre, en exacerbant les préjugés nationaux et en accentuant la réaction, qui connaît une recrudescence dans tous les pays, même dans les pays républicains les plus libres.

 

“ La guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens ” (à savoir : par la violence)

 

Cette sentence célèbre appartient à Clausewitz, l'un des auteurs les plus pénétrants en matière militaire. Les marxistes ont toujours considéré avec juste raison cette thèse comme la base théorique de l'interprétation de chaque guerre donnée. C'est de ce point de vue que Marx et Engels ont toujours envisagé les différentes guerres.

Appliquez ce point de vue à la guerre actuelle. Vous verrez que, durant des dizaines d'années, pendant près d'un demi siècle, les gouvernements et les classes dirigeantes d'Angleterre, de France, d'Allemagne, d'Italie, d'Autriche et de Russie ont pratiqué une politique de pillage des colonies, d'oppression de nations étrangères, d'écrasement du mouvement ouvrier. C'est cette politique, et nulle autre, qui se poursuit dans la guerre actuelle. En Autriche et en Russie notamment, la politique du temps de paix

,consiste, comme celle du temps de guerre, à asservir les nations et non à les affranchir. Au contraire, en Chine, en Perse, dans l'Inde et les autres pays dépendants, nous assistons durant ces dernières dizaines d'années à une politique d'éveil à la vie nationale de dizaines et de centaines de millions d'hommes, à une politique tendant à les libérer du joug des “ grandes ” puissances réactionnaires. La guerre sur ce terrain historique peut être aujourd'hui encore une guerre progressive bourgeoise, une guerre de libération nationale.

Il suffit de considérer que la guerre actuelle continue la politique des  “ grandes ” puissances et des classes fondamentales qui les constituent pour constater aussitôt le caractère manifestement antihistorique, mensonger et hypocrite de l'opinion selon laquelle il serait possible, dans la guerre actuelle, de justifier l'idée de la “ défense de la patrie ”.

 

L’exemple de la Belgique

 

Les social chauvins de la Triple (aujourd'hui Quadruple) Entente (en Russie : Plékhanov et Cie) aiment par dessus tout invoquer l'exemple de la Belgique. Mais cet exemple se retourne contre eux. Les impérialistes allemands ont violé sans vergogne la neutralité de la Belgique, comme ont fait toujours et partout les Etats belligérants qui, en cas de besoin, foulaient aux pieds tous les traités et engagements. Admettons que tous les Etats qui ont intérêt à respecter les traités internationaux aient déclaré la guerre à l'Allemagne, en exigeant de ce pays qu'il évacue et dédommage la Belgique. En l'occurrence, la sympathie des socialistes serait allée, bien entendu, aux ennemis de l'Allemagne. Or, le fait est justement que la guerre menée par la “ Triple (et Quadruple) Entente ” ne l'est pas pour la Belgique; cela est parfaitement connu, et seuls les hypocrites le dissimulent. L'Angleterre pille les colonies de l'Allemagne et la Turquie; la Russie pille la Galicie et la Turquie; la France réclame l'Alsace Lorraine et même la rive gauche du Rhin; un traité a été conclu avec l'Italie sur le partage du butin (Albanie et Asie Mineure); un marchandage analogue est en cours avec la Bulgarie et la Roumanie. Sur le terrain de la guerre actuelle des gouvernements actuels, il est impossible d'aider la Belgique autrement qu'en aidant à étrangler l'Autriche ou la Turquie, etc. ! Que vient faire alors ici la “ défense de la patrie ” ?? C'est là précisément le caractère particulier de la guerre impérialiste, guerre menée par des gouvernements bourgeois réactionnaires qui ont fait historiquement leur temps, avec pour enjeu l'oppression d'autres nations. Quiconque justifie la participation à cette guerre perpétue l'oppression impérialiste des nations. Quiconque préconise d'exploiter les difficultés actuelles des gouvernements pour lutter en faveur de la révolution sociale défend la liberté réelle de la totalité des nations, qui n'est réalisable qu'en régime socialiste.

 

Pourquoi la Russie fait-elle la guerre ?

 

En Russie, l'impérialisme capitaliste du type moderne s’est pleinement révélé dans la politique du tsarisme à l'égard de la Perse, de la Mandchourie, de la Mongolie; mais ce qui, d'une façon générale, prédomine en Russie, c'est l'impérialisme militaire et féodal. Nulle part au monde la majorité de la population du pays n'est aussi opprimée : les Grands Russes ne forment que 43% de la population, c'est à dire moins de la moitié, et tous les autres habitants sont privés de droits, en tant qu'allogènes. Sur les 170 millions d'habitants de la Russie, près de 100 millions sont asservis et privés de droits. Le tsarisme fait la guerre pour s'emparer de la Galicie et étrangler définitivement la liberté des Ukrainiens, pour conquérir l’Arménie, Constantinople, etc. Le tsarisme voit dans la guerre un moyen de détourner l'attention du mécontentement qui s’accroît à l'intérieur du pays et d'écraser le mouvement révolutionnaire grandissant. Aujourd'hui, pour deux Grands-Russes, on compte en Russie deux ou trois “ allogènes ” privés de droits : le tsarisme s'efforce, au moyen de la guerre, d'augmenter le nombre des nations opprimées par Russie, d'accentuer leur oppression et de faire ainsi échec à la lutte pour la liberté que mènent les Grand-Russes eux mêmes. La possibilité d'asservir et de piller les autres peuples aggrave le marasme économique, car il arrive souvent que la source des revenus soit moins le développement des forces productives que l'exploitation semi féodale des “ allogènes ”. Ainsi, du côté de la Russie, la guerre porte un caractère foncièrement réactionnaire et hostile aux mouvements de libération.

 

Qu’est-ce que le social chauvinisme ?

 

Le social chauvinisme, c'est la “ défense de la patrie ” dans la guerre actuelle. De cette position découlent, par voie de conséquence, la renonciation à la lutte de classe pendant la guerre, le vote des crédits militaires, etc. Les social chauvins pratiquent en fait une politique antiprolétarienne, bourgeoise, car ils préconisent en réalité, non pas la “ défense de la patrie ” au sens de la lutte contre l'oppression étrangère, mais le “ droit ” de telles ou telles “ grandes ” puissances à piller les colonies et à opprimer d'autres peuples. Les social chauvins reprennent à leur compte la mystification du peuple par la bourgeoisie, selon laquelle la guerre serait menée pour la défense de la liberté et de l'existence des nations, et se rangent ainsi aux côtés de la bourgeoisie contre le prolétariat. Sont des social chauvins aussi bien ceux qui justifient et exaltent les gouvernements et la bourgeoisie d'un des groupes des puissances belligérantes que ceux qui, à l'instar de Kautsky, reconnaissent aux socialistes de toutes les puissances belligérantes un droit identique à la “ défense de la patrie ”. Le social chauvinisme, qui prône en fait la défense des privilèges, des avantages, des pillages et violences de “ sa propre ” bourgeoisie impérialiste (ou de toute bourgeoisie, en général), constitue une trahison pleine et entière de toutes les convictions socialistes et de la résolution du Congrès socialiste international de Bâle.

 

Le Manifeste de Bâle

 

Le Manifeste sur la guerre, adopté à l'unanimité à Bâle en 1912, vise justement la guerre qui a éclaté en 1914 entre l'Angleterre et l'Allemagne avec leurs alliés actuels. Le manifeste déclare nettement que nul intérêt du peuple ne peut justifier une telle guerre, menée pour “ le profit des capitalistes ou l'orgueil des dynasties ”, sur la base de la politique impérialiste, spoliatrice, des grandes puissances. Le manifeste déclare expressément que la guerre est un danger “ pour les gouvernements ” (tous sans exception), met en évidence la crainte que la “ révolution prolétarienne ” leur inspire, rappelle de la manière la plus explicite l'exemple de la Commune de 1871 et celui d'octobre décembre 1905, c'est à dire l'exemple de la révolution et de la guerre civile. Par conséquent, le Manifeste de Bâle indique, précisément pour la guerre actuelle, la tactique de la lutte révolutionnaire des ouvriers à l'échelle internationale contre leurs gouvernements, la tactique de la révolution prolétarienne. Le Manifeste de Bâle reprend les termes de la résolution de Stuttgart disant qu'au cas où la guerre éclaterait, les socialistes devraient exploiter “ la crise économique et politique ” créée par la guerre pour “ précipiter la chute de la domination capitaliste ”, c'est à dire mettre à profit les difficultés suscitées aux gouvernements par la guerre, ainsi que la colère des masses, en vue de la révolution socialiste.

La politique des social chauvins, qui justifient la guerre du point de vue bourgeois sur le mouvement de libération, qui admettent la “ défense de la patrie ”, qui votent les crédits, qui entrent dans les ministères, etc., est donc une trahison pure et simple du socialisme, qui ne s'explique, comme on le verra plus loin, que par la victoire de l'opportunisme et de la politique ouvrière national libérale au sein de la majorité des partis européens.

 

Les fausses références à Marx et Engels

 

Les social chauvins russes (Plékhanov en tête) invoquent la tactique de Marx dans la guerre de 1870; les social-chauvins allemands (genre Lensch, David et Cie) invoquent les déclarations d'Engels en 1891 sur la nécessité pour les socialistes allemands de défendre la patrie en cas de guerre contre la Russie et la France réunies; enfin, les social-chauvins genre Kautsky, désireux de transiger avec le chauvinisme international et de le légitimer, invoquent le fait que Marx et Engels, tout en condamnant les guerres, se sont néanmoins chaque fois rangés, de 1854 1855 à 1870 1871 et en 1876 1877, du côté de tel ou tel Etat belligérant, une fois le conflit malgré tout déclenché.

Toutes ces références déforment d'une façon révoltante les conceptions de Marx et d'Engels par complaisance pour la bourgeoisie et les opportunistes, de même que les écrits des anarchistes (les Guillaume et Cie) dénaturent les conceptions de Marx et d'Engels pour justifier l'anarchisme. La guerre de 1870 1871 a été, du côté de l'Allemagne, une guerre historiquement progressive jusqu'à la défaite de Napoléon III qui, de concert avec le tsar, avait longtemps opprimé l'Allemagne en y maintenant le morcellement féodal. Dès que la guerre eut tourné au pillage de la France (annexion de l'Alsace et de la Lorraine), Marx et Engels condamnèrent résolument les Allemands. Au reste, dès le début de cette guerre, Marx et Engels avaient approuvé le refus de Bebel et de Liebknecht de voter les crédits et recommandé à la social démocratie de ne pas faire bloc avec la bourgeoisie, mais de lutter pour la sauvegarde des intérêts de classe particuliers du prolétariat. Appliquer le jugement porté sur cette guerre progressive bourgeoise et de libération nationale à la guerre impérialiste actuelle, c'est se moquer de la vérité. Il en va de même, de façon encore plus frappante, pour la guerre de 1854 1855 et pour toutes les guerres menées au XIX° siècle, alors que n'existaient ni l'impérialisme actuel, ni les conditions objectives déjà mûres du socialisme, ni des partis socialistes de masse dans tous les pays belligérants, c'est à dire à une époque où faisaient précisément défaut les conditions d'où le Manifeste de Bâle dégageait la tactique de la “ révolution prolétarienne ” en relation avec la guerre entre les grandes puissances.

Invoquer aujourd'hui l'attitude de Marx à l'égard des guerres de l'époque de la bourgeoisie progressive et oublier les paroles de Marx : “ Les ouvriers n'ont pas de patrie ”, paroles qui se rapportent justement à l'époque de la bourgeoisie réactionnaire qui a fait son temps, à l'époque de la révolution socialiste, c'est déformer cyniquement la pensée de Marx et substituer au point de vue socialiste le point de vue bourgeois.

 

La faillite de la Il° Internationale

 

Les socialistes du monde entier ont déclaré solennellement en 1912, à Bâle, qu'ils considéraient la future guerre européenne comme une entreprise “ criminelle ” et ultra-réactionnaire de tous les gouvernements, qui devait précipiter la chute du capitalisme en provoquant inévitablement la révolution contre ce dernier. La guerre est venue, la crise a éclaté. Au lieu de la tactique révolutionnaire, la majorité des partis social démocrates ont appliqué une tactique réactionnaire et se sont rangés du côté de leurs gouvernements et de leur bourgeoisie. Cette trahison à l'égard du socialisme marque la faillite de la II° Internationale (1889 1914), et nous devons voir clairement ce qui a déterminé cette faillite, ce qui a engendré le social chauvinisme et ce qui lui a donné sa vigueur.

 

Le social-chauvinisme, dernier mot de l’opportunisme

 

Durant toute l'existence de la II° Internationale, une lutte s'est poursuivie à l'intérieur de tous les partis social-démocrates entre l'aile révolutionnaire et l'aile opportuniste. Dans plusieurs pays, il y a eu scission sur ce point (Angleterre, Italie, Hollande, Bulgarie). Aucun marxiste ne doutait que l'opportunisme fût l'expression. de la politique bourgeoise au sein du mouvement ouvrier, l'expression des intérêts de la petite bourgeoisie et de l'alliance avec “ leur ” bourgeoisie d'une partie minime d'ouvriers embourgeoisés contre les intérêts de la masse des prolétaires, de la masse des opprimés.

Les conditions objectives de la fin du XIX° siècle renforçaient tout particulièrement l'opportunisme, l'utilisation de la légalité bourgeoise étant transformée de ce fait en servilité à son égard; elles créaient une mince couche bureaucratique et aristocratique de la classe ouvrière, et attiraient dans les rangs des partis social démocrates nombre de “ compagnons de route ” petits bourgeois.

La guerre a accéléré ce développement, transformé l'opportunisme en social chauvinisme, et l'alliance tacite des opportunistes avec la bourgeoisie, en une alliance ouverte.

En outre, les autorités militaires ont décrété partout la loi martiale et muselé la masse ouvrière, dont les anciens chefs sont passés, à peu près en bloc, du côté de la bourgeoisie.

La base économique de l'opportunisme est la même que celle du social chauvinisme : les intérêts d'une mince couche d'ouvriers privilégiés et de la petite bourgeoisie, qui défendent leur situation privilégiée, leur “ droit ” aux miettes des profits réalisés dans le pillage des autres nations par “ leur ” bourgeoisie nationale, grâce aux avantages attachés à sa situation de grande puissance, etc.

Le contenu politique et idéologique de l'opportunisme est le même que celui du social chauvinisme : remplacement de la lutte des classes par leur collaboration, renonciation aux moyens révolutionnaires de lutte, soutien de “ son ” gouvernement en difficultés au lieu d'une utilisation de ces difficultés pour la révolution. Si l'on considère tous les pays européens dans leur ensemble, sans s'arrêter à telles bu telles personnalités (quel que soit leur prestige), on constatera que c'est bien le courant opportuniste qui est devenu le principal rempart du social chauvinisme, et que du camp des révolutionnaires s'élève presque partout une protestation plus ou moins conséquente contre ce courant. Et si l'on considère, par exemple, le groupement des tendances au congrès socialiste international de Stuttgart, en 1907, on constatera que le marxisme international était contre l'impérialisme, tandis que, dès cette époque, l'opportunisme international le soutenait.

 

L'unité avec les opportunistes, c’est l’alliance des ouvriers avec “ leur ” bourgeoisie nationale et la scission de la classe ouvrière révolutionnaire internationale

 

Autrefois, avant la guerre, l'opportunisme était souvent considéré comme une “ déviation ”, une “ position extrême ”, mais on lui reconnaissait néanmoins le droit d'être partie intégrante du parti social démocrate. La guerre a montré que c'est désormais chose impossible. L’opportunisme s'est pleinement “ épanoui ”, il a joué jusqu'au bout son rôle d’émissaire de la bourgeoisie dans le mouvement ouvrier. L'unité avec les opportunistes est devenue un tissu d'hypocrisies, dont nous voyons un exemple dans le parti social démocrate allemand. Dans toutes les grandes occasions (par exemple, lors du vote du 4 août), les opportunistes présentent leur ultimatum et l'imposent en mettant en jeu leurs nombreuses relations avec la bourgeoisie, leur majorité dans les directions des syndicats, etc. L'unité avec les opportunistes, n'étant rien d'autre que la scission du prolétariat révolutionnaire de tous les pays, marque en fait aujourd'hui la subordination de la classe ouvrière à “ sa ” bourgeoisie nationale, l'alliance avec celle ci en vue d'opprimer d'autres nations et de lutter pour les privilèges impérialistes.

Si dure que soit, en certains cas, la lutte contre les opportunistes qui règnent dans maintes organisations, quelque forme particulière que prenne, dans certains pays, le processus d'épuration des partis ouvriers se débarrassant des opportunistes, ce processus est inévitable et fécond. Le socialisme réformiste agonise; le socialisme renaissant “ sera révolutionnaire, intransigeant, insurrectionnel ” selon l'expression si juste du socialiste français Paul Golay.

 

Le “ kautskisme ”

 

Kautsky, la plus grande autorité de la II° Internationale, offre un exemple éminemment typique, notoire, de la façon dont la reconnaissance verbale du marxisme a abouti en fait à le transformer en “ strouvisme ” ou en “ brentanisme [1] ”. Nous en avons un autre exemple avec Plékhanov. A l'aide de sophismes manifestes, on vide le marxisme de son âme vivante, révolutionnaire. On admet tout dans le marxisme, excepté les moyens révolutionnaires de lutte, la propagande en leur faveur et la préparation de leur mise en œuvre, l'éducation des masses dans ce sens. Au mépris de tout principe, Kautsky “ concilie ” la pensée fondamentale du social chauvinisme, l'acceptation de la défense de la patrie dans la guerre actuelle, avec des concessions diplomatiques et ostentatoires aux gauches, telles que l'abstention lors du vote des crédits, la prise de position verbale en faveur de l'opposition, etc. Kautsky, qui écrivit en 1909 tout un livre sur l'imminence d'une époque de révolutions et sur le lien entre la guerre et la révolution; Kautsky, qui signa en 1912 le Manifeste de Bâle sur l'utilisation révolutionnaire de la guerre de demain, s'évertue aujourd'hui à justifier et à farder le social chauvinisme, et se joint comme Plékhanov à la bourgeoisie pour railler toute idée de révolution, toute initiative allant dans le sens d'une lutte nettement révolutionnaire.

La classe ouvrière ne peut jouer son rôle révolutionnaire mondial sans mener une lutte implacable contre ce reniement, cette veulerie, cette servilité à l'égard de l'opportunisme et cet incroyable avilissement de la théorie marxiste. Le kautskisme n'est pas un effet du hasard, c'est le produit social des contradictions de la II° Internationale, de la fidélité en paroles au marxisme alliée à la soumission de fait à l'opportunisme.

Ce mensonge majeur du “ kautskisme ” se manifeste sous des formes diverses dans les différents pays. En Hollande, Roland Holst, tout en repoussant l'idée de la défense de la patrie, plaide pour l'unité avec le parti des opportunistes. Trotsky, en Russie, repoussant également cette idée, plaide aussi pour l'unité avec le groupe opportuniste et chauvin de “ Nacha Zaria ”. Rakovski, en Roumanie, tout en déclarant la guerre à l'opportunisme, qu'il rend responsable de la faillite de l'Internationale, est prêt cependant à admettre l'idée de la défense de la patrie. Ce sont là des manifestations du mal que les marxistes hollandais ( Gorter, Pannekoek) ont appelé le “ radicalisme passif ”, et qui vise à substituer au marxisme révolutionnaire l'éclectisme en théorie, et la servilité ou l'impuissance devant l'opportunisme dans la pratique.

 

Le mot d’ordre des marxistes est celui de la social-démocratie révolutionnaire

 

La guerre a, sans conteste, engendré une crise extraordinairement violente et aggravé, à l'extrême la misère des masses. Le caractère réactionnaire de cette guerre, le mensonge éhonté de la bourgeoisie de tous les pays, qui dissimule ses visées do brigandage sous le manteau de l'idéologie “ nationale ”, suscitent nécessairement, dans la situation révolutionnaire qui existe objectivement, des tendances révolutionnaires au sein des masses. Notre devoir est d'aider à prendre conscience de ces tendances, de les approfondir et de leur donner corps. Seul le mot d'ordre de la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile exprime correctement cette tâche, et toute lutte de classe conséquente pendant la guerre, toute tactique sérieusement appliquée d'“ actions de masse ” y mène inévitablement. On ne peut savoir si c'est à l'occasion de la première ou d une seconde guerre impérialiste des grandes puissances, si c'est pendant ou après cette guerre, qu'éclatera un puissant mouvement révolutionnaire. Mais, de toute façon, notre devoir impérieux est de travailler méthodiquement et sans relâche dans cette voie.

Le Manifeste de Bâle invoque sans détours l'exemple de la Commune de Paris, c'est à dire la transformation d'une guerre de gouvernements en guerre civile. Il y a un demi-siècle, le prolétariat était trop faible, les conditions objectives du socialisme n'étaient pas encore venues à maturité, il ne pouvait y avoir ni corrélation ni coopération des mouvements révolutionnaires dans tous les pays belligérants; l'engouement d'une partie des ouvriers parisiens pour “ l'idéologie nationale ” (la tradition de 1792) attestait de leur part une défaillance petite bourgeoise, que Marx avait signalée en son temps et qui fut une des causes de l'échec de la Commune. Un demi siècle plus tard, les conditions qui affaiblissaient la révolution d'alors ont disparu, et à l'heure actuelle il est impardonnable pour un socialiste de renoncer à agir, très précisément, dans l'esprit des communards parisiens.

 

L'exemple de la fraternisation dans les tranchées

 

Les journaux bourgeois de tous les pays belligérants ont cité des exemples de fraternisation entre soldats même dans les tranchées. Et les décrets draconiens promulgués par les autorités militaires (Allemagne, Angleterre) contre cette fraternisation ont démontré que les gouvernements et bourgeoisie y attachaient une sérieuse importance. Si des cas de fraternisation ont pu se produire, malgré la donation totale de l'opportunisme à la direction des partis social démocrates d'Europe occidentale, et alors que le social chauvinisme est soutenu par toute la presse social-démocrate, par toutes les autorités de la Il° Internationale, cela nous montre à quel point il serait possible d'abréger la durée de la guerre criminelle, réactionnaire et esclavagiste d'aujourd'hui et d'organiser le mouvement international révolutionnaire, si un travail systématique ait effectué dans ce sens, ne serait ce que par les socialistes de gauche de tous les pays belligérants.

 

L’importance de l’organisation illégale

 

Les anarchistes les plus marquants du monde entier se sont déshonorés tout autant que les opportunistes par le social chauvinisme (dans l'esprit de Plékhanov et de Kautsky) dont ils ont fait preuve au cours de cette guerre. Un des résultats utiles de ce conflit sera sans doute qu'il tuera la fois l'opportunisme et l'anarchisme.

Sans renoncer en aucun cas et sous aucun prétexte à, utiliser la plus minime possibilité légale pour organiser les masses et propager le socialisme, les partis social-démocrates doivent rompre avec toute attitude servile devant la légalité. “ Tirez les premiers, messieurs les bourgeois ” , écrivait Engels [2], en faisant précisément allusion à la guerre civile et à la nécessité pour nous de violer la légalité après que celle ci l'aura été par la bourgeoisie. La crise a montré que la bourgeoisie enfreint la légalité dans tous les pays même les plus libres, et qu'il est impossible de conduire masses à la révolution sans constituer une organisation clandestine pour préconiser, discuter, apprécier et préparer les moyens de lutte révolutionnaires. En Allemagne, par exemple, tout ce que les socialistes font d'honnête se fait contre le vil opportunisme et l'hypocrite “ kautskisme ”, et cela, précisément, dans l'illégalité. En Angleterre, on est passible du bagne pour l'impression d'appels invitant à refuser le service militaire.

Considérer comme compatible avec l'appartenance au parti social démocrate la répudiation des procédés clandestins de propagande et les railler dans la presse légale, c'est trahir le socialisme.

 

De la défaite de “ son propre ” gouvernement dans la guerre impérialiste

 

Les partisans de la victoire de leur gouvernement dans la guerre actuelle, de même que les partisans du mot d'ordre : “ Ni victoire ni défaite ”, adoptent les uns et les autres le point de vue du social chauvinisme. Dans une guerre réactionnaire, la classe révolutionnaire ne peut pas ne pas souhaiter la défaite de son gouvernement; elle ne peut manquer de voir le lien entre les échecs militaires de ce dernier et les facilités qui en résultent pour le renverser. Seul le bourgeois qui croit que la guerre engagée par les gouvernements finira de toute nécessité comme une guerre entre gouvernements, et qui le désire, trouve “ ridicule ” ou “ absurde ” l'idée que les socialistes de tous les pays belligérants doivent affirmer qu'ils veulent la défaite de tous les gouvernements, de “ leurs ” gouvernements. Par contre, une telle position correspondrait exactement à la pensée secrète de tout ouvrier conscient et s'inscrirait dans le cadre de notre activité visant à transformer la guerre impérialiste en guerre civile.

Il est hors de doute que l'important travail d'agitation contre la guerre effectué par une partie des socialistes anglais, allemands et russes “ affaiblissait la puissance militaire ” de leurs gouvernements respectifs, mais cette agitation faisait honneur aux socialistes. Ceux ci doivent expliquer aux masses qu'il n'est point de salut pour elles hors du renversement révolutionnaire de “ leurs ” gouvernements respectifs, et que les difficultés rencontrées par ces gouvernements dans la guerre actuelle doivent être exploitées précisément à cette fin.

 

Du pacifisme et du mot d’ordre de la paix

 

L'état d'esprit des masses en faveur de la paix exprime souvent le début d'une protestation, d'une révolte et d'une prise de conscience du caractère réactionnaire de la guerre. Tirer profit de cet état d'esprit est le devoir de tous les social-démocrates. Ils participeront très activement à tout mouvement et à toute manifestation sur ce terrain, mais ils ne tromperont pas le peuple en laissant croire qu'en l'absence d'un mouvement révolutionnaire, il est possible de parvenir à une paix sans annexions, sans oppression des nations, sans pillage, sans que subsiste le germe de nouvelles guerres entre les gouvernements actuels et les classes actuellement dirigeantes. Tromper ainsi le peuple ne ferait que porter de l'eau au moulin de la diplomatie secrète des gouvernements belligérants et de leurs plans contre révolutionnaires. Quiconque désire une paix solide et démocratique doit être partisan de la guerre civile contre les gouvernements et la bourgeoisie.

 

Du droit des nations à disposer d’elles-mêmes

 

La mystification du peuple la plus largement pratiquée par la bourgeoisie dans cette guerre est le camouflage de ses buts de brigandage derrière l'idée de la “ libération nationale ”. Les Anglais promettent la liberté à la Belgique; les Allemands à la Pologne, etc. En réalité, comme nous l'avons vu, c'est une guerre entre les oppresseurs de la majorité des nations du monde pour consolider et étendre cette oppression.

Les socialistes ne peuvent atteindre leur but sans lutter contre tout asservissement des nations. Aussi doivent ils exiger absolument que les partis social démocrates des pays oppresseurs (des “ grandes ” puissances, notamment) reconnaissent et défendent le droit des nations opprimées à disposer d'elles mêmes, et cela au sens politique du mot, c'est à dire le droit à la séparation politique. Le socialiste appartenant à une puissance impérialiste ou à une nation possédant des colonies, et qui ne défendrait pas ce droit, serait, un chauvin.

La défense de ce droit, loin d'encourager la formation de petits Etats, conduit au contraire à la formation plus libre, plus sûre et, par suite, plus large et plus généralisée, de grands Etats et de fédérations entre Etats, ce qui est plus avantageux pour les masses et correspond mieux au développement économique.

Les socialistes des nations opprimées, pour leur part, doivent lutter sans réserve pour l'unité complète (y compris sur le plan de l'organisation) des ouvriers des nationalités opprimées et oppressives. L'idée d'une séparation juridique des nations (ce qu'on appelle l' “ autonomie nationale culturelle ” de Bauer et Renner) est une idée réactionnaire.

L'époque de l'impérialisme est celle de l'oppression croissante des nations du monde entier par une poignée de “ grandes ” puissances; aussi la lutte pour la révolution internationale socialiste contre l'impérialisme est elle impossible sans la reconnaissance du droit des nations à disposer d'elles mêmes. “ Un peuple qui en opprime d'autres ne saurait être libre ” (Marx et Engels). Ne peut être socialiste un prolétariat qui prend son parti de la moindre violence exercée par “ sa ” nation à l'encontre d'autres nations".

 

Notes

[1] L. Brentano : économiste bourgeois, partisan du “ Socialisme d’État ” et à l’origine de théories visant à prouver la possibilité de réaliser l’égalité sociale dans le cadre du capitalisme.

[2] Cf. F. Engels : Le socialisme et la guerre

 

 


Source :https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1915/08/vil19150800b.htm


 

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25 février 2022 5 25 /02 /février /2022 16:44

 

 

Le film d'Emmanuel Gras décrit le combat, les espoirs et les déceptions des Gilets jaunes du rond-point de Chartres. Leurs paroles et leurs histoires personnelles difficiles sont souvent émouvantes et sincères. En donnant la parole à celles et ceux qui ne l'ont jamais, celles et ceux de la France d'en bas, le film retrace en fait dans une certaine mesure l'évolution de tout le Mouvement des Gilets jaunes.

Pourtant ce sont ces invisibles "ces gens de rien", ces "sans dents" qui vont se soulever dans un élan formidable contre le pouvoir en place qu'ils jugent responsable de leur situation : "Macron démission" scandent à pleins poumons les Gilets jaunes sur le rond-point et dans les manifestations parisiennes tous les samedis. Cette révolte est la conséquence directe, rappelons-le, de la politique de paupérisation ultra-libérale menée tambour battant par les gouvernements successifs.

Le film montre en filigrane que la lutte des Gilets jaunes est en quelque sorte un refus de l'immobilisme qui caractérise la scène politique française.

Le film n'a pas occulté les contradictions et les incohérences des Gilets jaunes dont la spontanéité, la naïveté et la sincérité sont à la fois une force et une faiblesse. Les Gilets jaunes n'ont pas l'expérience des luttes politiques et syndicales, ce qui génère parfois tensions, divisions et finalement l'inefficacité des actions. Le documentaire s'est également attardé sur le thème du RIC (Référendum d'Initiative Citoyenne) qui est controversé au sein même du mouvement.

En revanche, le film est passé trop rapidement sur les terribles violences, d'un autre âge, subies par les Gilets jaunes : yeux crevés, mains arrachées, visages défigurés, crânes fracassés... Pour briser le Mouvement, la bourgeoisie française a mobilisé tout son appareil répressif et judiciaire. Les Gilets jaunes sont probablement le Mouvement le plus réprimé dans l'histoire récente de la France. Les chiffres parlent d'eux-mêmes :

  • 2 décès,

  • 315 blessures à la tête,

  • 24 éborgné·es,

  • 5 mains arrachées

  • Les personnes placées en garde à vue et/ou renvoyées devant les tribunaux se comptent par milliers.

Macron et son gouvernement considèrent que la violence et la brutalité utilisées contre les Gilets jaunes sont justes alors que la moindre vitrine cassée par les révoltés constitue par elle-même un crime !

Il faut aller voir ce beau film pour essayer de comprendre comment de simples citoyens armés de leurs gilets jaunes et de leur détermination ont pu, pour une société plus juste, produire un événement majeur dans cette lutte qui fait rage entre les dominants et les dominés. Il entrera dans l'histoire avec une aura qui lui est propre.

 

Mohamed Belaali

 

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21 février 2022 1 21 /02 /février /2022 18:28

 

 

 

 

 

 

 

 

La plus drôle des créatures

 

Comme le scorpion, mon frère,
Tu es comme le scorpion
Dans une nuit d’épouvante.
Comme le moineau, mon frère,
Tu es comme le moineau.
dans ses menues inquiétudes.
Comme la moule, mon frère,
tu es comme la moule enfermée et tranquille.
Tu es terrifiant, mon frère,
comme la bouche d’un volcan éteint.
Et tu n’es pas un, hélas,
tu n’es pas cinq, tu es des millions.
Tu es comme le mouton, mon frère,
quand le bourreau habillé de ta peau
quand il lève son bâton
tu te hâtes de rentrer dans le troupeau
et tu vas à l’abattoir en courant, presque fier.
Tu es la plus drôle des créatures, en somme,
Plus drôle que le poisson
qui vit dans la mer sans savoir la mer.
Et s’il y a tant de misère sur terre
c’est grâce à toi, mon frère,
Si nous sommes tiraillés, épuisés,
Si nous somme écorchés jusqu’au sang,
Pressés comme la grappe pour donner notre vin,
Irai-je jusqu’à dire que c’est de ta faute, non,
Mais tu y es pour beaucoup, mon frère.

Nâzim Hikmet, Il neige dans la nuit et autres poèmes.

 

Nâzim Hikmet (1901-1963) est l'un de ces grands poètes qui ont subi la répression, l'oppression et la persécution. Déchu de sa nationalité, expulsé de son pays, Nâzim Hikmet est mort en exil. Car comme disait l'autre grand poète Gabriel Celaya, la poèsie est une arme mais une arme chargée de futur porteur de combats et d'espoir. La poésie peut inquiéter les tyrans lorsqu'elle interpelle et incite les citoyens à changer leur destin et à ne pas rester indifférents et passifs. Les despotes n'aiment pas voir les poètes chanter. Car la poésie peut être dangereuse lorsqu'elle s'empare des masses.

 

Mohamed Belaali

 

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12 février 2022 6 12 /02 /février /2022 08:13

En ces temps de débandade généralisée, le combat idéologique, en parallèle de la lutte économique et politique, revêt une importance capitale. En effet, les attaques idéologiques de la bourgeoisie, facilitées par d'innombrables moyens de diffusion de plus en plus sophistiqués, sont permanentes, perfectionnées et cyniques. L'idéologie dominante est partout. Elle est omniprésente et omnipotente. Aucun domaine ne lui échappe. Elle se renouvelle constamment sous des formes les plus variées. Livrés à eux-mêmes, les prolétaires modernes n'échapperont donc pas à son influence et à son emprise. Le combat pour l'émancipation passe nécessairement par la lutte contre cette idéologie totalitaire. Parmi ces idées fausses inculquées d'une manière systématique aux masses populaires, à travers notamment les médias, les instituts de sondages, l'industrie culturelle, les programmes scolaires-universitaires etc. on trouve, pour l'essentiel, la négation de la lutte des classes et la négation de la révolution. La démocratie parlementaire est présentée à son tour comme l'alpha et l'oméga de tout changement. Celui-ci doit être progressif et graduel grâce au suffrage universel. Pour la bourgeoisie, la lutte des classes et la révolution sont un formidable anachronisme, le socialisme a définitivement échoué et le capitalisme reste l'horizon ultime de l'humanité. Ces idées ainsi que bien d'autres, sont indispensables non seulement pour le maintien de l'ordre établi, mais aussi pour tromper, démoraliser et priver la classe des travailleurs des instruments idéologiques qui lui permettent de résister et de lutter efficacement contre toute sorte d'exploitation et d'oppression.

 

« L'histoire de toute société jusqu'à nos jours n'a été que l'histoire de la lutte des classes (...) Cependant, le caractère distinctif de notre époque, de l'époque de la bourgeoisie, est d'avoir simplifié les antagonismes de classes. La société se divise de plus en plus en deux vastes camps ennemis, en deux grandes classes diamétralement opposées : la bourgeoisie et le prolétariat » écrivaient Marx et Engels en 1848. Cette idée hante toujours la bourgeoisie 175 ans après ! Alors pour dissimuler cette lutte entre prolétaires et bourgeois, entre travail et capital, la classe dominante travestit la réalité pour donner, tel un prestidigitateur habile, l'illusion que nous vivons dans une société où règne plutôt l'entente et la conciliation des classes. Elle remplace tout simplement, avec un certain succès d'ailleurs, la guerre entre deux classes dont les intérêts sont irrémédiablement inconciliables par la collaboration de classes. Les nouveaux acteurs ne sont plus des ennemis, mais des partenaires sociaux. Les patrons et les directions syndicales dialoguent, collaborent ensemble au maintien de la paix sociale. Le mot patron qui évoque les rapports d'exploitation et de domination est en train de disparaître du vocabulaire courant. On lui préfère celui, moins archaïque, d'employeur, d'entrepreneur ou encore celui de chef d'entreprise. Même les prolétaires les plus exploités travaillant pour des plateformes comme Uber ou Deliveroo par exemple sont appelés autoentrepreneurs ! Le Conseil national du patronat français (CNPF), organisation patronale est remplacé par le Mouvement des entreprises de France (Medef). Le profit qui trouve son origine dans l'exploitation du travailleur est de plus en plus appelé résultat net ou encore retour sur investissement (1).

La lutte des classes est niée également à travers le mythe de la classe moyenne. Il s'agit selon Henri Mendras (2) d'une vaste "constellation centrale", une véritable classe, qui s'intercale entre une élite minoritaire et une classe populaire réduite excluant ainsi toute opposition et tout affrontement. Aujourd'hui face à l'explosion de la précarité et de la misère sociale, cette prétendue moyennisation de la société n'a plus la préférence du discours sociologique et médiatique. On lui préfère des notions issues des enquêtes statistiques comme les fameuses Catégories socioprofessionnelles (CSP) ou des couples de mots censés être en opposition comme par exemple peuple/élite, inclus/exclus etc. Il n'est plus question ici ni de bourgeois ni de prolétaires et encore moins de leur lutte.

 

Une autre manière sinon de nier la lutte des classes du moins la rendre moins visible consiste à mettre au premier plan des combats qui portent sur les conséquences et non sur les causes des phénomènes qu'ils sont censés combattre. On substitue ici le combat politique de classe contre classe par des actions éparpillées, isolées, corporatistes et séparées les unes des autres ce qui les rend particulièrement inefficaces. Les luttes par exemple contre les inégalités, le racisme, les discriminations, le sexisme, la destruction de notre planète, l'exclusion etc.etc. sont des luttes justes et légitimes, mais menées sans lien avec le capitalisme qui les produit et/ou les amplifie.

Aujourd'hui, les grandes multinationales instrumentalisent cyniquement ces thèmes pour mieux vendre leurs produits et augmenter leurs profits (3). Ce faisant, elles participent à la confusion idéologique tout en mettant à l'abri toute critique de l'exploitation capitaliste. Or il est illusoire de vouloir résoudre valablement ces problèmes graves sans remettre en cause le système lui-même. Car l'inégale répartition des richesses, l'écologie...sont d'abord les conséquences des rapports sociaux de classes au sein d'un système économique déterminé. Il ne faut pourtant pas être d'une grande perspicacité pour comprendre que la destruction systématique de notre planète par exemple est intimement liée à cette course effrénée au profit qui caractérise le capitalisme. On ne peut résoudre raisonnablement ces problèmes graves qu'en s'attaquant aux causes qui les engendrent et non à leurs conséquences : « plus on va parler des changements climatiques dans les médias, moins on va expliquer leurs causes et plus on va parler de leurs conséquences. Or quand on traite des causes, on peut en venir assez vite à des explications structurelles relevant de l’ordre social, et donc politique — ce qui n’est pas le cas avec les conséquences du problème (...)Tant que l’écologie ne sera pas pensée d’abord comme une lutte idéologique contre le capitalisme, elle aura toujours le souffle un peu court » (4).

Cela ne signifie nullement qu'il faut renoncer aux combats contre le racisme, le sexisme, l'exclusion etc. Bien au contraire, la lutte contre l'oppression de race, de genre etc. doit être menée au quotidien et sans trêve. Mais en même temps, il ne faut pas surestimer les résultats obtenus par ces combats. Car il s'agit des luttes qui portent sur les effets et non sur les causes du mal.

 

L'illusion démocratique contribue également à cette gigantesque escroquerie idéologique selon laquelle en dehors de la démocratie bourgeoise point de salut. La démocratie parlementaire est présentée par les classes dominantes comme la clef de tout changement, capable de réaliser les aspirations les plus profondes de l’immense majorité de la population. Or elle n’est en réalité qu’un paravent à la domination économique et, partant, politique. La démocratie est toujours une démocratie de classe. La démocratie dans l'absolu, la démocratie en général n'existe nulle part. Ce qui existe réellement c'est la démocratie de la classe qui domine économiquement et politiquement.

Dans les sociétés capitalistes, la démocratie ne supprime ni l'esclavage salarié ni l'exploitation qui en découle. La démocratie bourgeoise est utilisée par la classe dominante comme une arme idéologique pour servir ses propres intérêts.

Doit-on déduire de tout cela qu'il ne faut pas utiliser le parlementarisme bourgeois ? Absolument pas. Il faut utiliser cette forme de démocratie étriquée sans pour autant exagérer le résultat final de cette participation électorale. Car les intérêts de classes, rappelons-le, sont irréconciliables. Il ne s’agit pas seulement de réformer ou d’améliorer la société capitaliste pour la rendre supportable, mais de l’abolir par la révolution sociale.

 

Mais dans sa guerre idéologique, la bourgeoisie a réussi à faire croire notamment à celles et ceux qui ont objectivement intérêt à révolutionner leurs conditions d'existence, que la révolution appartient désormais au passé et que la fin de l'Histoire est une réalité des temps modernes. Hors du capitalisme point de salut ! Même certains partis se réclamant pourtant de la classe ouvrière ont supprimé de leur programme toute prise de pouvoir par la révolution se contentant du jeu parlementaire. Ce sont des organisations politiques domestiquées et intégrées qui ont renoncé à organiser les luttes sociales d'envergure. Elles sont réduites à gérer avec la classe dirigeante le système en place alors même que la tendance générale du capitalisme n'est pas d'améliorer les conditions de celles et ceux qui produisent la richesse, mais à les dégrader. Il faut dire aussi que la base sociale de ces organisations s'est nettement affaiblie. Dans ces conditions, il devient difficile de parler de révolution. La minorité d'exploiteurs a réussi à inculquer aux dominés que l'amélioration de leurs conditions misérables d'existence passe par la seule et unique voie, le processus électoral.

Pourtant tous les faits qui rendent la révolution urgente sont là : aggravation de l'exploitation, crises économiques à répétition, saccage systématique de la nature, menaces réelles de la guerre, marchandisation et déshumanisation de tous les rapports humains etc. La révolution tant haïe et niée par les classes dominantes, n'a jamais été aussi légitime et aussi nécessaire qu'aujourd'hui.

 

 

Les classes dirigeantes ont tout intérêt à propager les idées, les concepts et les théories qui servent leurs propres intérêts et perpétuent l'ordre établi. Rien de plus normal dans une société basée sur la lutte des classes. Et tant que subsiste l'exploitation capitaliste que subissent au quotidien tous les travailleurs salariés, la lutte des classes se poursuivra. La guerre des idées n'est en dernière analyse que l'expression de cette guerre des classes. L'idéologie bourgeoise, quelle que soit sa puissance, ne peut se substituer à la réalité, elle ne fait que la déformer, la travestir.

La première des tâches est de poursuivre cette lutte en combattant partout cette idéologie mortifère et en diffusant des idées de l'avenir, celles d'une autre société débarrassée des classes et des antagonismes de classes et « où le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous » (5).

 

Mohamed Belaali

 

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(1) Voir la critique sémantique de la Ve République d'Eric Hazan : Propagande du quotidien. Raison d'agir, 2006.

(2) La seconde Révolution française 1965-1984, Henri Mendras, Gallimard, Paris, 1988.

(3) https://www.mediapart.fr/journal/economie/220122/le-wokewashing-la-nouvelle-strategie-des-majors-petrolieres

Voir l'exemple de BP : https://www.bp.com/en/global/corporate/careers/life-at-bp/diversity-equity-and-inclusion/lgbt.html?fbclid=IwAR11O_UY6U-EYzniSIqgV6Juyh0xqWgRLvfqa8UXImirpfX9RWIytsScdXY

(4) https://www.revue-ballast.fr/jean-baptiste-comby/

(5) K Marx, F Engels : Manifeste du Parti communiste

 

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3 février 2022 4 03 /02 /février /2022 07:36

La situation désastreuse que connaît la France aujourd'hui est l'expression de la déroute économique, sanitaire et morale d'un pouvoir quasi monarchique.

Totalement étranger à ses concitoyens, Macron et les siens restent indifférents à leurs souffrances dont ils sont largement responsables. Ils ne voient dans les classes populaires qu’une masse infâme, des êtres sans dignité et déshumanisés.

Sans projet pour le pays, Macron tourne sans cesse sur lui-même et sur son seul et unique objectif : rester «quoi qu'il en coûte» au pouvoir.

Il est en campagne électorale alors même qu'il n'a ni vision ni perspective d'avenir à part celle de servir encore et toujours les plus riches.

Il a pour lui les puissants, les médias, les instituts de sondages, l'armée, la police etc.Victor Hugo disait de Napoléon le petit : « M. Louis Bonaparte a réussi. Il a pour lui désormais l’argent, l’agio, la banque, la bourse, le comptoir, le coffre-fort, et tous ces hommes qui passent si facilement d’un bord à l’autre quand il n’y a à enjamber que de la honte » (1).

Macron n'invoque les valeurs de la République que pour mieux les ignorer, les mépriser, les fouler aux pieds. Sa rhétorique sur l’État de droit, la séparation des pouvoirs, la liberté d'expression, de manifestation etc. n’a de sens que dans le contexte d'une intense propagande, futile et cynique. En dehors de ce cadre, elle ressemble à des sons vides de tout sens. Son discours démagogique n'a d'égal que le vide de son programme politique.

Il invente des ennemis et montre du doigt les jeunes des quartiers populaires, les musulmans, les islamogauchistes, les séparatistes etc. comme responsables de tous les maux et de tous les malheurs de la France. « Notre pays est malade. Il est malade d’un séparatisme dont le premier, le séparatisme islamiste, gangrène l’unité nationale » (2) disait son ministre de l'intérieur Gérald Darmanin lui-même accusé de viol par deux femmes. C'est un complot politico-religieux répond Macron : « Le problème, c’est le séparatisme islamiste. Ce projet conscient, théorisé, politico-religieux, qui se concrétise par des écarts répétés avec les valeurs de la République » (3).

Cette fabrication de boucs émissaires permet aussi de décharger la colère populaire sur les victimes de la crise tout en épargnant ses véritables responsables dont il fait partie.

Paradoxalement, Macron puise sa force dans sa faiblesse. Il se nourrit des drames de la misère et des frustrations d'une partie de la population, hélas, de plus en plus importante. Car la misère matérielle et morale, le délitement des rapports sociaux, engendrent souvent désespoir et résignation.

Macron est nourri par la puissance de l'argent qui le protège et le maintient à la tête de l'Etat. Elle met à sa disposition des armes redoutables : les grands médias et les instituts de sondages qui jouent un rôle déterminant dans le maintien et la reproduction de cette situation. Pour eux, Macron est déjà président avant même le premier tour !

La propagande, la manipulation et l’endoctrinement permanents remplacent l’information, le faux devient vrai, les apparences se confondent avec la réalité et la différence entre ce qui est juste et ce qui est erroné reste difficile à établir. Les intérêts d'une classe, la bourgeoisie, deviennent ceux de toutes les classes ! Les opprimés ainsi conditionnés sont amenés à choisir «librement et démocratiquement» leurs oppresseurs.

Ainsi, les moyens de communication de masse demeurent l’instrument le plus efficace pour anesthésier une population déjà traumatisée, démoralisée et démobilisée par une politique de misère sociale et par une gestion chaotique et criminelle de la pandémie. Pire, les mensonges véhiculés et répétés inlassablement par les médias sont parfois acceptés et intériorisés par les plus démunis. Le contenu mensonger de cette intense propagande idéologique, bien qu'il soit contredit quotidiennement par les faits, s'efface pour ainsi dire totalement. Les dominés participent ainsi, sans vraiment le vouloir, au maintien de leur propre servitude.

La mission fondamentale de Macron est de servir les puissants. C'est sa raison d'être. Pour les plus démunis, pour les travailleurs, il n'a absolument rien à offrir à part les mensonges, les illusions et la répression sauvage en cas de résistance et de révolte. Le Mouvement des Gilets jaunes est un exemple éloquent à cet égard.

La démocratie bourgeoise, même si elle reste utile pour arracher quelques avancées économiques et sociales, ne peut pour ainsi dire jamais traduire la volonté réelle et les aspirations profondes de la majorité des travailleurs et des salariés en général. Elle permet surtout de perpétuer les intérêts de la classe dominante en donnant l'illusion qu'elle est la seule et l'unique possibilité du changement.

Mais la crise du capitalisme qui produit une telle pourriture au niveau politique, engendre en même temps les conditions matérielles de résistance et de lutte pour briser les chaînes de cette servitude.

 

Mohamed Belaali

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(1)Victor Hugo « Napoléon le Petit ». Editions l'Escalier (2013), page 42.

(2)https://www.assemblee-nationale.fr/15/cri/2020-2021/20210144.asp

(3)MACRON, Emmanuel, “Discours du président de la République sur la lutte contre les séparatismes : https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2020/10/02/la-republique-en-actes-discours-du-president-de-la-republique-sur-le-theme-de-la-lutte-contre-les-separatismes

 

 

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16 janvier 2022 7 16 /01 /janvier /2022 10:06

En cette sombre époque, il est peut-être utile de parler ici d'un vieux texte de Marx et Engels qui reste, malgré ses 175 ans, toujours une arme redoutable face aux attaques économiques et idéologiques incessantes de la classe dominante. Le Manifeste du Parti communiste mérite d'être lu ou relu sans préjugés. Pour perpétuer son système et ses privilèges de classe, la bourgeoisie tente, essentiellement à travers ses médias, ses instituts de sondages, son industrie culturelle et ses intellectuels qui ne sont en fait que « des salariés à ses gages », de tromper, de démoraliser et de désarmer toutes celles et ceux qui luttent contre le capitalisme en les privant d'instruments idéologiques efficaces. Le Manifeste reste encore aujourd'hui non pas un dogme mais un outil formidable de combat afin de « renverser toutes les conditions sociales où l'homme est un être abaissé, asservi, abandonné, méprisable ». Même s'il a été écrit pour les exploités et les opprimés du XIXe siècle, le Manifeste nous est également destiné. Le capitalisme est toujours là et menace plus qu'hier encore la survie de l'humanité. Certes l'oeuvre de Marx et d'Engels n'est pas à la mode aujourd'hui, mais la mode, rappelons-le, ne résiste pas à l'épreuve du temps, elle est par essence éphémère. Le Manifeste, sans sombrer dans l'utopisme, parle de ce que les hommes et les femmes chérissent le plus et qui reste enfoui au plus profond de leur être : se libérer de toutes les formes d' oppression. Le Manifeste c'est aussi cette immense espérance dans une société débarrassée des classes et des antagonismes de classes et « où le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous ».

 

 

Le Manifeste du Parti communiste

 

I. Bourgeois et prolétaires

 

« L'histoire de toute société jusqu'à nos jours n'a été que l'histoire des luttes de classes.

Homme libre et esclave, patricien et plébéien, baron et serf, maître de jurande et compagnon, en un mot oppresseurs et opprimés, en opposition constante, ont mené une guerre ininterrompue, tantôt ouverte, tantôt dissimulée, une guerre qui finissait toujours soit par une transformation révolutionnaire de la société tout entière, soit par la destruction des deux classes en lutte (...)

 

la bourgeoisie, depuis l'établissement de la grande industrie et du marché mondial, s'est finalement emparée de la souveraineté politique exclusive dans l'Etat représentatif moderne. Le gouvernement moderne n'est qu'un comité qui gère les affaires communes de la classe bourgeoise tout entière (...)

 

La bourgeoisie a joué dans l'histoire un rôle éminemment révolutionnaire.

Partout où elle a conquis le pouvoir, elle a foulé aux pieds les relations féodales, patriarcales et idylliques. Tous les liens complexes et variés qui unissent l'homme féodal à ses "supérieurs naturels", elle les a brisés sans pitié pour ne laisser subsister d'autre lien, entre l'homme et l'homme, que le froid intérêt, les dures exigences du "paiement au comptant". Elle a noyé les frissons sacrés de l'extase religieuse, de l'enthousiasme chevaleresque, de la sentimentalité petite-bourgeoise dans les eaux glacées du calcul égoïste. Elle a fait de la dignité personnelle une simple valeur d'échange; elle a substitué aux nombreuses libertés, si chèrement conquises, l'unique et impitoyable liberté du commerce. En un mot, à la place de l'exploitation que masquaient les illusions religieuses et politiques, elle a mis une exploitation ouverte, éhontée, directe, brutale.

La bourgeoisie a dépouillé de leur auréole toutes les activités qui passaient jusque-là pour vénérables et qu'on considérait avec un saint respect. Le médecin, le juriste, le prêtre, le poète, le savant, elle en a fait des salariés à ses gages (...)

 

La bourgeoisie ne peut exister sans révolutionner constamment les instruments de production, ce qui veut dire les rapports de production, c'est-à-dire l'ensemble des rapports sociaux. Le maintien sans changement de l'ancien mode de production était, au contraire, pour toutes les classes industrielles antérieures, la condition première de leur existence. Ce bouleversement continuel de la production, ce constant ébranlement de tout le système social, cette agitation et cette insécurité perpétuelles distinguent l'époque bourgeoise de toutes les précédentes. Tous les rapports sociaux, figés et couverts de rouille, avec leur cortège de conceptions et d'idées antiques et vénérables, se dissolvent; ceux qui les remplacent vieillissent avant d'avoir pu s'ossifier. Tout ce qui avait solidité et permanence s'en va en fumée, tout ce qui était sacré est profané, et les hommes sont forcés enfin d'envisager leurs conditions d'existence et leurs rapports réciproques avec des yeux désabusés.

 

Poussée par le besoin de débouchés toujours nouveaux, la bourgeoisie envahit le globe entier. Il lui faut s'implanter partout, exploiter partout, établir partout des relations.

Par l'exploitation du marché mondial, la bourgeoisie donne un caractère cosmopolite à la production et à la consommation de tous les pays. Au grand désespoir des réactionnaires, elle a enlevé à l'industrie sa base nationale. Les vieilles industries nationales ont été détruites et le sont encore chaque jour. Elles sont supplantées par de nouvelles industries, dont l'adoption devient une question de vie ou de mort pour toutes les nations civilisées, industries qui n'emploient plus des matières premières indigènes, mais des matières premières venues des régions les plus lointaines, et dont les produits se consomment non seulement dans le pays même, mais dans toutes les parties du globe. A la place des anciens besoins, satisfaits par les produits nationaux, naissent des besoins nouveaux, réclamant pour leur satisfaction les produits des contrées et des climats les plus lointains. A la place de l'ancien isolement des provinces et des nations se suffisant à elles-mêmes, se développent des relations universelles, une interdépendance universelle des nations. Et ce qui est vrai de la production matérielle ne l'est pas moins des productions de l'esprit Les oeuvres intellectuelles d'une nation deviennent la propriété commune de toutes. L'étroitesse et l'exclusivisme nationaux deviennent de jour en jour plus impossibles et de la multiplicité des littératures nationales et locales naît une littérature universelle.

 

Les conditions bourgeoises de production et d'échange, le régime bourgeois de la propriété, la société bourgeoise moderne, qui a fait surgir de si puissants moyens de production et d'échange, ressemblent au magicien qui ne sait plus dominer les puissances infernales qu'il a évoquées.

 

 

II.Prolétaires et communistes

 

Les conceptions théoriques des communistes ne reposent nullement sur des idées, des principes inventés ou découverts par tel ou tel réformateur du monde (... )

 

Le régime de la propriété a subi de continuels changements, de continuelles transformations historiques.

La Révolution française, par exemple, a aboli la propriété féodale au profit de la propriété bourgeoise

Ce qui caractérise le communisme, ce n'est pas l'abolition de la propriété en général, mais l'abolition de la propriété bourgeoise.

Or, la propriété privée d'aujourd'hui, la propriété bourgeoise, est la dernière et la plus parfaite expression du mode production et d'appropriation basé sur des antagonismes de classes, sur l'exploitation des uns par les autres.

En ce sens, les communistes peuvent résumer leur théorie dans cette formule unique : abolition de la propriété privée (...)

 

Le prix moyen du travail salarié, c'est le minimum du salaire, c'est-à-dire la somme des moyens de subsistance nécessaires pour maintenir en vie l'ouvrier en tant qu'ouvrier. Par conséquent, ce que l'ouvrier s'approprie par son labeur est tout juste suffisant pour reproduire sa vie ramenée à sa plus simple expression. Nous ne voulons en aucune façon abolir cette appropriation personnelle des produits du travail, indispensable à la reproduction de la vie du lendemain, cette appropriation ne laissant aucun profit net qui confère un pouvoir sur le travail d'autrui. Ce que nous voulons, c'est supprimer ce triste mode d'appropriation qui fait que l'ouvrier ne vit que pour accroître le capital, et ne vit qu'autant que l'exigent les intérêts de la classe dominante (...)

 

De même que, pour le bourgeois, la disparition de la propriété de classe équivaut à la disparition de toute production, de même la disparition de la culture de classe signifie, pour lui, la disparition de toute culture.

La culture dont il déplore la perte n'est pour l'immense majorité qu'un dressage qui en fait des machines (...)

 

En outre, on a accusé les communistes de vouloir abolir la patrie, la nationalité.

Les ouvriers n'ont pas de patrie. On ne peut leur ravir ce qu'ils n'ont pas. Comme le prolétariat de chaque pays doit en premier lieu conquérir le pouvoir politique, s'ériger en classe dirigeante de la nation, devenir lui-même la nation, il est encore par là national, quoique nullement au sens bourgeois du mot (...)

 

Abolissez l'exploitation de l'homme par l'homme, et vous abolirez l'exploitation d'une nation par une autre nation.

Du jour où tombe l'antagonisme des classes à l'intérieur de la nation, tombe également l'hostilité des nations entre elles (...)

 

Est-il besoin d'une grande perspicacité pour comprendre que les idées, les conceptions et les notions des hommes, en un mot leur conscience, changent avec tout changement survenu dans leurs conditions de vie, leurs relations sociales leur existence sociale ?

Que démontre l'histoire des idées, si ce n'est que la production intellectuelle se transforme avec la production matérielle ? Les idées dominantes d'une époque n'ont jamais été que les idées de la classe dominante (...)

 

Les antagonismes des classes une fois disparus dans le cours du développement, toute la production étant concentrée dans les mains des individus associés, alors le pouvoir public perd son caractère politique. Le pouvoir politique, à proprement parler, est le pouvoir organisé d'une classe pour l'oppression d'une autre (...).

 

A la place de l'ancienne société bourgeoise, avec ses classes et ses antagonismes de classes, surgit une association où le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous (...) .

 

Les communistes ne s'abaissent pas à dissimuler leurs opinions et leurs projets. Ils proclament ouvertement que leurs buts ne peuvent être atteints que par le renversement violent de tout l'ordre social passé. Que les classes dirigeantes tremblent à l'idée d'une révolution communiste ! Les prolétaires n'y ont rien à perdre que leurs chaînes. Ils ont un monde à y gagner.

 

PROLETAIRES DE TOUS LES PAYS, UNISSEZ-VOUS ! »

 

Karl Marx - Friedrich Engels.

 

Pour une lecture intégrale du Manifeste :

https://www.marxists.org/francais/marx/works/1847/00/kmfe18470000.htm

 

Mohamed Belaali

 

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Published by M B
13 décembre 2021 1 13 /12 /décembre /2021 12:05

 

La Haute Cour de justice de Londres vient d'annuler en appel le refus d'extrader Julian Assange. Elle ouvre ainsi la voie à l'extradition du fondateur de Wikileaks vers les Etats-Unis. Cette décision intervient le jour même où Joe Biden organisait un « Sommet pour la démocratie » et pendant la journée internationale des droits de l'homme ! Décidément le cynisme et l'hypocrisie des pays capitalistes sont sans limites.

 

 

«Donne un cheval à celui qui dit la vérité; il en aura besoin pour s’enfuir».

Proverbe arabe

 

 

En révélant au monde entier les guerres génocidaires, les crimes, les massacres et les mensonges des pays impérialistes, Julian Assange savait qu'il mettait sa vie en danger. Il a ainsi dévoilé la nature profonde de ces pays.Toutes les guerres impérialistes par exemple ont été déclenchées sur la base de mensonges. Assange a osé dire la vérité. Or celle-ci est incompatible avec le fonctionnement même des sociétés capitalistes où le mensonge est érigé en principe sacré, en dogme. Toute profanation de cette règle constitue un sacrilège. Il faut laisser la population dans l'ignorance. Et comme disait Orwell dans 1984 «L'ignorance c'est la force» ! La propagande et l’endoctrinement permanents des citoyens remplacent l’information et le faux devient vrai. Les intérêts d'une seule classe deviennent alors ceux de toutes les classes. Les responsables de ce blasphème seront alors durement punis. Car dans cette société, les hérétiques n'ont pas leur place. Leur vérité constitue une offense, un affront et une insulte au discours mensonger dominant. Julian Assange doit être châtié, persécuté. L'obscurité du mensonge contre la lumière de la vérité. La guerre est donc déclarée contre cet homme. Il n'a aucune chance de la gagner ni même d'obtenir un procès équitable sans le soutien massif des citoyens. Pour les Etats-Unis, le Royaume-Uni et tous les autres pays capitalistes, Assange est l'homme à abattre. En 2010 par exemple, il a eu le courage de montrer au monde entier, à travers des centaines de milliers de documents classifiés de l'armée américaine, la réalité de l'invasion de l'Irak : crimes de guerre, massacres, tortures... la souffrance infligée à la population irakienne, réduite à vivre dans des conditions infra-humaines, donne la mesure de la cruauté dont les pays capitalistes sont capables (1). Les documents publiés donnent l'ampleur de cette tragédie irakienne : 109 032 victimes dont 60 % de civils (2). A l'époque, les médias aux ordres parlaient des «frappes chirurgicales» ! Et quel est le crime de chacune de ces victimes ? Selon Bush et Blair, l'Irak représente un véritable danger pour le monde. Il possède les armes de destruction massive et demeure le foyer mondial du terrorisme. Il faut donc sécuriser ce pays et apporter à sa population démocratie, liberté et prospérité. Des mensonges et toujours des mensonges !

 

Le président équatorien  Lenin Moreno, celui par qui le scandale est arrivé, disait : « J’ai demandé à la Grande-Bretagne la garantie que M. Assange ne serait pas extradé vers un pays où il pourrait être torturé ou condamné à mort». (3)

Moreno sait très bien que les Etats-Unis ont émis une ordonnance d'extradition de Julian Assange avec un acte d'accusation précis (4) et que son pays et le Royaume-Uni feront tout pour faciliter ce transfèrement. Une fois aux Etats-Unis, la vie de Julian Assange sera en danger ou comme disent les experts de l'ONU, l'extradition met « potentiellement sa vie en danger» (5),

Rappelons que la majorité des Etats (vingt-six sur cinquante en plus de la justice militaire) appliquent encore la peine de mort et que la pratique de la torture est bien réelle. Le sort d'Assange n'aura probablement rien à envier à celui de l'autre lanceur d'alerte Chelsea Manning qui a « enduré de longues périodes d’isolement et de torture. Elle a tenté à deux reprises de se suicider en prison. Elle connaît par expérience douloureuse les innombrables façons dont le système peut vous briser psychologiquement et physiquement» (6).

 

Voilà ce que réservent les pays impérialistes à ceux et celles qui, au détriment de leur vie, osent dire la vérité aux citoyens en les informant sur les abus du pouvoir. Les pays capitalistes ne peuvent fonctionner que sur la base de mensonge et de répression dans tous les domaines.

Laissons le dernier mot à la mère de Julian Assange :«La vie de mon fils, le journaliste Julian Assange, est en danger imminent et grave. Je vous remercie tous d’entendre l’appel d’une mère qui vous demande de l’aider à le sauver (…) Parce qu’il s’agit d’une persécution politique transnationale par une superpuissance sauvage en collusion avec ses alliés, sauver Julian nécessite l’indignation des peuples du monde. (...) Tout au long de l’histoire, lorsque les abus de pouvoir sont devenus insupportables pour le peuple, celui-ci s’est uni et s’est levé pour les faire cesser» (7).

 

Mohamed Belaali

 

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(1)https://www.legrandsoir.info/Les-ravages-de-la-guerre-imperialiste-en-Irak.html

(2)https://www.ojim.fr/portraits/julian-assange-master-hacker/

(3)https://twitter.com/Lenin/status/1116271659512684544

(4)https://www.legrandsoir.info/acte-d-accusation-contre-julian-assange.html

(5)https://news.un.org/fr/story/2019/04/1040961

(6)https://www.legrandsoir.info/chelsea-manning-et-la-nouvelle-inquisition-truthdig.html

(7)https://www.youtube.com/watch?v=5nxigIRUkcU

 

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11 novembre 2021 4 11 /11 /novembre /2021 08:03

«Nous protestons, nous protestons jusqu'à la révolution».

Slogan des manifestants soudanais.

 

 

Le 25 octobre 2021, le Soudan a connu un nouveau coup d'Etat mené cette fois par le général Al Burhan président du Conseil militaire. Ce putsch met fin au processus de transition démocratique entamé depuis la chute du dictateur Omar Al Bachir en avril 2019. Mais pour comprendre ce qui se passe aujourd'hui au Soudan, il est nécessaire de revenir sur le passé de ce pays tourmenté. En effet, l'histoire politique du Soudan est riche en révoltes, en révolutions et en coups d'Etat militaires qui ne sont, en dernière analyse, que l'expression d'une implacable lutte de classe entre oppresseurs et opprimés. Ce mouvement toujours recommencé est impulsé par cette quête obstinée, par cette aspiration profonde et permanente du peuple soudanais à la démocratie et à la justice sociale. Dans ce combat permanent le rôle des femmes, malgré de fortes pesanteurs sociales et religieuses, reste déterminant.

 

Sans remonter à la période coloniale où les « mahdistes » ont mis en déroute l'armée de l'occupation britannique en 1885 avant d'être défaits par le général Kitchener en 1898, le Soudan moderne a connu une série de soulèvements populaires et de putschs militaires entrecoupée d'intermèdes démocratiques. Dès 1958, deux ans seulement après la proclamation de l'indépendance en 1956, le général Ibrahim Abboud s'empare du pouvoir mettant ainsi un terme au régime parlementaire gangrené par la corruption et incapable de sortir le pays de la crise économique liée essentiellement à la chute des prix du coton.

Le nouveau régime militaire soutenu par le Royaume Uni et dont le règne est marqué par de nombreuses mesures impopulaires et discriminatoires notamment vis à vis de la population du Sud majoritairement chrétienne et animiste, est chassé à son tour du pouvoir par la révolution d'octobre 1964 (Thawrat Oktobar) dont l'étincelle est partie de l'université de Khartoum la capitale. La résistance sudiste, l'influence du parti communiste dans les milieux ouvriers, paysans et intellectuels ainsi que, dans une moindre mesure, celle des Frères musulmans ont joué un rôle décisif dans le renversement de la première dictature militaire.

Le nouveau gouvernement provisoire mis en place a promulgué des lois progressistes comme celle qui donne aux femmes, pour la première fois, le droit de vote. Mais la situation a changé rapidement sous l'influence des islamistes qui ont réussi à interdire le parti communiste en 1965 et exclu ses députés de l'Assemblée. Le PC soudanais qui était le fer de lance dans le soulèvement d'octobre 1964 est condamné une nouvelle fois à la clandestinité.

 

Le 25 mai 1969, un nouveau coup d'Etat mené cette fois par de jeunes officiers nationalistes dont certains sont proches du parti communiste, porte au pouvoir le colonel Gaafar Nimeiry (devenu général puis maréchal par la suite). Admirateur de Nasser, le nouveau maître du Soudan mène une politique de nationalisation et adopte, sur le plan politique, des mesures démocratiques. Mais très tôt Nimeiry entre en conflit ouvert avec les communistes qui doutent fortement du caractère révolutionnaire de son gouvernement. Ils lui reprochent de surcroît son autoritarisme et surtout son projet d'Union tripartite avec l'Egypte de Sadate et la Libye de Khadafi. Les ministres communistes et les officiers proches du parti sont alors exclus du gouvernement.

Le 19 juillet 1971 une tentative de coup d'Etat montée contre Nimeiry et attribuée aux communistes a échoué. Nimeiry décide alors d'écraser définitivement le parti communiste soudanais, le plus important alors du continent africain. «Une effroyable campagne de liquidation physique du parti communiste soudanais et ses sympathisants. Une terrible chasse à l’homme à travers tout le territoire, qui devait engloutir des milliers de cadres politiques, intellectuels, syndicalistes, étudiants et militaires» (1). Le prestigieux dirigeant du parti Abdel Khaliq Mahjoub fut pendu le 28 juillet 1971. Cette période marque le déclin du parti communiste soudanais qui était sur tous les fronts, de toutes les révoltes et de toutes les révolutions avant et après l'indépendance du Soudan. Mais ces idées révolutionnaires pour un Soudan moderne restent encore aujourd'hui l'emblème de tous les soulèvements populaires contre les dictatures militaires.

 

Débarrassé des communistes, Nimeiry se rapproche des Etats-Unis, de l'Arabie Saoudite, d'Israël et se réconcilie avec les partis fondamentalistes. Il impose la Charia, l'islamisation des institutions et de la société y compris au Sud Soudan dont la population est majoritairement chrétienne et animiste. Il a même exécuté par pendaison Mahmoud Mohamed Taha, un penseur musulman moderniste et fondateur du parti des Frères Républicains d'inspiration socialiste. Devant la Cour avant son exécution Taha déclare «J'ai affirmé à plusieurs reprises mon opinion, selon laquelle les lois de septembre 1983 bafouent la charia islamique et l'islam lui-même. De plus, ces lois ont défiguré la charia islamique et l'islam jusqu'à les rendre repoussants. Plus encore, ces lois ont été édictées et utilisées pour terroriser le peuple et le soumettre à force d'humiliation» (2).

 

En mars 1985, les soudanais sont descendus massivement dans la rue, une fois encore, pour protester contre les augmentations des prix des denrées alimentaires de base et contre Nimeiry qui les a appliquées sur les injonctions du FMI. Le régime réagit violemment. Mais cette brutalité n'a fait que renforcer la volonté des révoltés à se débarrasser du dictateur.

En avril de la même année, le général Nimeiry est renversé par un autre général Abdel Rahman Suwar al-Dahab. Un gouvernement transitoire est constitué. Les prisonniers politiques sont libérés, les libertés publiques restaurées et le parti communiste est de nouveau autorisé. Les élections sont organisées en 1986 et les négociations pour trouver un accord avec les rebelles du Sud sont entamées. Mais cette relative liberté permise par la nouvelle révolution a été de courte durée.

 

Le 30 juin 1989, le colonel Omar Al-Bashir s'empare du pouvoir par un coup d'Etat militaire mettant un terme au gouvernement civil de Sadek el-Mahdi. Une nouvelle dictature s'installe. Le parlement est dissout. Les partis politiques ainsi que les syndicats sont interdits et leurs dirigeants emprisonnés. Omar Al Bachir s'allie un temps avec les Frères musulmans et leur guide Hassan Al Tourabi qui inspirait sa politique. Il concentre tous les pouvoirs entre ses mains : il est à la fois Président de la république, premier ministre, chef des armées et ministre de la défense. Le dictateur introduit un nouveau «code islamique» encore plus rigoriste que celui imposé par Gaafar Nimeiry. Al Bachir commet au Darfour, l'une des régions les plus pauvres du Soudan malgré la richesse de son sous-sol, de véritables crimes de guerre qualifiés de crime contre l'humanité par l'ONU (3).

 

Il intensifie la guerre au Sud avant de signer avec les rebelles en 2005 un accord de paix et l’organisation d’un référendum d’autodétermination en janvier 2011. En juillet de la même année Al Bachir est contraint d'accepter la sécession du Sud (600 000 kilomètres carrés).

Il privatise les chemins de fer ainsi que de nombreux secteurs de l'économie soudanaise. Il applique les politiques d'austérité et la « vérité des prix » imposées par le FMI. Et c'est justement cette politique dictée par le Fonds monétaire qui a allumé l'étincelle qui va embraser tout le Soudan.

 

En effet le 19 décembre 2018, alors que l'économie du pays traverse une crise profonde, le gouvernement d'Al Bachir annonce le triplement du prix du pain et augmente celui de l'essence de 30 % alors que l'inflation a déjà atteint les 40 %. Des émeutes éclatent d'abord dans les villes ouvrières notamment à Atbara fief du parti communiste et berceau de tous les soulèvements populaires soudanais avant de se répandre dans tout le pays. Mais les émeutes se sont vite transformées en contestation du régime d'Al Bachir : «Le peuple veut la chute du régime» clament les manifestants. Une dynamique révolutionnaire impulsée et guidée par l'Association des Professionnels Soudanais (APS) s'est emparée de tout un peuple. Malgré une féroce répression et ses dizaines de morts, malgré la présence des Janjawid, ces soldats de sinistre mémoire pour leurs atrocités commises au Darfour, malgré l'instauration d'état d'urgence et le couvre-feu, les manifestants réclament toujours avec force le départ d'Al Bachir et des forces islamistes réactionnaires qui le soutiennent. «La révolution est le choix du peuple» scandent, jour et nuit, les manifestants devant le quartier général de l’armée symbole du pouvoir.

Le 11 avril 2019 Omar Al Bachir est destitué par l'armée : «J'annonce en tant que ministre de la

défense la chute du régime» disait le communiqué lu par le ministre de la défense le général Awad Ibn Awf (4). Un Conseil militaire de transition est mis en place présidé par le général Al Burhan. C'est une première étape de la révolution remportée par le peuple soudanais.

La deuxième a commencé le 17 août 2019 avec la constitution d'un Conseil souverain appelé à superviser «la transition démocratique». Ce Conseil est composé de 11 membres, 5militaires et 6 civils, dont deux femmes. Un nouveau gouvernement, 18 membres dont 4 femmes, est constitué un mois après et dirigé par un économiste Abdallah Hamdok.

Al Bachir est tombé mais son régime est toujours en place et les islamistes se tiennent en embuscade. Le ministère de l'intérieur et celui de la défense sont toujours entre les mains des militaires. La victoire n'est pas encore là et la lutte des classes se poursuit. La troisième étape de la révolution soudanaise reste donc à écrire.

 

Mais on ne peut parler de ces révoltes et de ces révolutions récurrentes sans évoquer le rôle majeur joué par les femmes. En première ligne, les femmes sont en quelque sorte l'avant garde de toutes les révoltes soudanaises. Leur combat pour la justice sociale et pour la démocratie ne date pas de la dernière révolte qui a emporté Omar Al Bachir. Sans remonter aux « kandakats», ces reines nubiennes du royaume de Kush qui ont combattu l'empire romain, elles ont toujours fait face courageusement à toutes les formes d'oppressions et d'humiliations. Ainsi sous l'occupation britannique par exemple, une femme, Khalida Zahir membre du parti communiste, seul parti à l'époque acceptant des femmes dans ses rangs, luttait à la fois contre le colonialisme et pour les droits des femmes. «Khalida Zahir fait partie des pionnières qui ont contribué à ouvrir la voie à des avancées comme cette loi de 1973 accordant un salaire égal pour un travail égal» (5).

Elle reste dans la mémoire des soudanais comme une grande figure de résistance à toutes les oppressions. Aujourd'hui encore, l'une des icônes de ceprocessus révolutionnaire est une femme, Alaa Salah. Elle a impressionné les masses de Khartoum par son courage, sa ténacité et par son charisme. Hissée sur le toit d'une voiture chantant la révolution et appelant au soulèvement une foule déchaînée qui lui répond à son tour « Thawrat !» Révolution ! (6).

 

Cette présence massive des femmes dans toutes les révolutions soudanaises s'explique dans une large mesure par leurs conditions sociales proches de l'esclavage. Les femmes subissent une double violence : l'exploitation de classe et l'oppression de genre.

Ainsi «les femmes ont été employées à titre gratuit par les hommes dans les maisons. Ce travail domestique prenait – et prend toujours – de multiples formes, et faisait peser sur elles de nombreuses responsabilités, comme celle d’amener l’eau ou le bois de chauffage, de le ramener sur de longues distances. C’est toujours le cas dans les villages et camps de réfugiés, où elles continuent à fournir la nourriture, les moyens de subsistance, à travailler dans les fermes et sur les terres qui appartiennent aux hommes» (7).

Quant à leur instruction, elle était réduite dans le meilleur des cas, à quelques préceptes religieux dispensés par des écoles coraniques ou d'évangélisation chrétienne. La colonisation britannique n'a pas bouleversé les structures archaïques de la société soudanaise et les efforts de Babiker Badri pour un enseignement public et laïc sont restés très limités.

L'islamisation de la société imposée par les dictateurs Gaafar Nimeiry en 1983 renforcée par Omar Al Bachir à partir de 1989 influencés par des extrémistes religieux ont ôté aux femmes le peu de droits qu'elles avaient arrachés durant les courtes périodes démocratiques. Les lois d'Omar Al Bachir, en plus des châtiments corporels, limitent les déplacements des femmes et leur présence dans l'espace public. Elles sont réduites pour ainsi dire à leur corps devenu enjeu politique, un corps qu'il faut pourtant cacher et dissimuler. Une de ces lois oblige par exemple les femmes «de porter le hijab dans les écoles et universités et impose aussi des règles relatives aux vêtements, à l’apparence, aux comportements. Elle punit la possession de tout matériel à caractère sexuel (comme les préservatifs), et interdit toute publication ou partage de contenu (par exemple dans des expositions ou pièces de théâtre) qui serait passible d’ « outrage aux mœurs» » (8).

Si les femmes soudanaises sont en première ligne, c'est aussi parce qu'elles sont les premières victimes de toutes les oppressions. Elles ont bien compris qu'elles n'ont rien à perdre à part leurs conditions proches de l'esclavage.

 

Les révoltes et les révolutions à répétition des soudanais, hommes et femmes, montrent à quel point leur soif de justice sociale, de démocratie et de dignité est insatiable. Leur victoire là-bas c'est aussi la notre ici. Le combat contre toutes les oppressions n'a pas de frontière.

 

Mohamed Belaali

 

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(1)http://www.afrique-asie.fr/561-2/

(2)https://fr.wikipedia.org/wiki/Mahmoud_Mohamed_Taha

Voir également le livre de Taha « L'islam à vocation libératrice » publié chez l'Harmattan en 2002 préfacé par Samir Amin.

(3)https://news.un.org/fr/story/2009/03/152002-la-cpi-inculpe-le-president-soudanais-pour-crimes-contre-lhumanite-au-darfour

(4)https://www.jeuneafrique.com/761484/politique/soudan-omar-el-bechir-destitue-par-larmee/

(5)https://www.ulyces.co/longs-formats/comment-les-femmes-soudanaises-changent-le-futur-de-leur-pays-soudan-revolution/

(6)https://www.youtube.com/watch?v=khbdwd_HgJE

(7)https://blogs.mediapart.fr/sudfa/blog/040519/les-combats-des-femmes-soudanaises

(8)https://blogs.mediapart.fr/sudfa/blog/040519/les-combats-des-femmes-soudanaises

 

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